L’objet dans l’acte pédagogique
S'il est vrai que les objets avec lesquels nous interagissons conditionnent un rapport au monde et un mode d’accès à la connaissance, cette affirmation prend tout son sens depuis qu'ils véhiculent les savoirs et font partie intégrante des méthodes éducatives qui modifient le rôle central autrefois assigné à l'enseignant1. L’observation des objets dans le contexte scolaire permet de mesurer leur implication dans l'acte pédagogique face aux acteurs qu’il mobilise. Généralement, ce dernier met en relation trois éléments fondamentaux: l'émetteur, le récepteur et le message. Par conséquent il est défini comme un acte communicationnel pouvant fonctionner selon trois modèles : transmissif, béhavioriste et constructiviste. Le «triangle pédagogique»2 a permis de modéliser dès la fin des années 1980 les rapports entre ces éléments afin de visualiser la complexité des scénarios qu'ils produisent. Ainsi, la relation didactique permet à l'enseignant d'enseigner, elle s'établit entre lui et le savoir selon le modèle transmissif: l'enseignant est détenteur d'un savoir qu'il partage. La relation pédagogique, entre étudiant et enseignant, permet au premier de former le second suivant le modèle béhavioriste: l'enseignant observe le comportement de l'élève et adapte sa pédagogie en fonction des capacités démontrées. Enfin, le modèle constructiviste véhicule la relation d'apprentissage, celle entreprise par l'élève avec le savoir dans sa démarche pour apprendre: l'élève découvre par lui-même. Le triangle pédagogique fait état d'interactions générales entre les acteurs de l'ensemble, mais ne renseigne ni sur les objets impliqués dans ces logiques relationnelles ni sur les usages faits, pourtant indispensables à la compréhension du statut d'outil ou de ressource qui peut leur être assigné. Partant d'une approche matérialiste pour construire l'analyse, ce texte aborde la problématique de la spatialisation des savoirs dans le contexte scolaire, à travers deux dispositifs3 de médiation: la salle de classe et le manuel scolaire. Ils sont appréhendés en tant que supports de signes dans l'optique de révéler comment leurs logiques de structuration visuelle influencent les méthodes pédagogiques qu'ils accompagnent ainsi que les modalités d'élaboration, d'acquisition et de transmission des savoirs. Prenant appui sur un corpus de relevés photographiques à visée documentaire réalisés dans huit écoles maternelles publiques françaises4, seront précisées les formes à travers lesquelles le savoir se donne à voir à l'échelle des salles de classe. Il sera question de démontrer le phénomène d'épurement de l’espace, observable au fur et à mesure que l’on progresse au sein du système scolaire et, parallèlement, celui de «densification sémiotique»5 des instruments d'apprentissage, pour révéler ce que cette dynamique traduit des méthodes éducatives mises en œuvre. Après avoir inventorié les éléments qui portent le savoir dans la salle de classe et dans le manuel scolaire, et présenté la configuration globale de ces deux espaces, on s’attardera sur deux unités—le coin regroupement en maternelle et la leçon du manuel d’histoire-géographie au niveau collège—, afin de décrire les grammaires visuelles qu’elles emploient et traiter l'effet de ces dispositifs graphiques sur les gestuelles d'apprentissage.
Objectiver les savoirs: inventaires

Coin regroupement, classe de petite section, Saint-Max, mars 2014.

Coin regroupement, classe de moyenne section, Brin-sur-Seille, décembre 2016.

Coin regroupement, classe de grande section, Saint-Max, mars 2014.

Coin regroupement, classe de grande section, Nancy, décembre 2016.
Alors que les objets ont intégré les méthodes pédagogiques tout au long de la scolarité6, avec des implications plus ou moins importantes, c’est en maternelle7 qu’ils déploient leur principal potentiel éducatif. Difficile d’entrer dans une classe sans constater la pluralité d’éléments qu’elle abrite. À première vue, ceux-ci constituent des niveaux de couleurs, surfaces, matériaux, lignes et volumes à travers lesquels se matérialise un espace dont la surcharge visuelle est évidente. Le paysage qui s’offre au visiteur laisse entrevoir un système global paradoxal car il apparaît autant cohérent que cacophonique.Trois catégories se distinguent: le mobilier8 (tables collectives et individuelles, chaises, bancs, fauteuils, bibliothèques, armoires, casiers, bacs compartimentés, commodes, tableaux, étagères, lampes...), les supports graphiques (accrochages, productions d’enfants, documents didactiques pour les ateliers, jeux et jouets issus du commerce...), le matériel (feuilles, cahiers, ardoises, classeurs, tableaux, outils scripteurs, cartons, peintures, nappes, bacs en plastique, ordinateurs, vidéoprojecteurs...). De par leur fonction, Pierre Mœglin décrit un espace éducatif composé de cinq strates9 de médias et outils qui témoignent de l’accumulation produite par des héritages pédagogiques issus d’époques et de méthodes variées. Sa déconstruction de la classe révèle une logique dialectique d'ouverture/fermeture de l'école vis-à-vis du monde extérieur: on retrouve des objets qui tentent de faire comprendre le monde à l’enfant autant que des représentations du réel, car «plus nous voulons que le monde soit immédiatement à la portée de notre main, plus nous recourrons à des objets, à des dispositifs, à des protocoles, à des standards qui mettent en forme ce monde»10, et d’autres qui cherchent à montrer aux visiteurs le déroulement des activités dans la classe. En ce sens, la classe de maternelle fonctionne à la manière d’un écosystème, tel un «espace dans l'espace» à l’intérieur duquel cohabitent des objets qui simulent la vie d’une maison avec ses activités et ses rituels (cuisine, bibliothèque, chambre, bureau...), fortement empreints de l’environnement bureautique et de ses standards. Elle est aussi une vitrine où s’exposent les états d’un lieu rythmé par des temporalités extérieures (notamment les fêtes du calendrier) et des projets pédagogiques internes à l’école. Ces éléments dessinent des réseaux stratifiés, régis par une logique de multiplication d’attirails et de fonctions, qui servent un savoir spécifique aussi bien qu’un savoir général. Les objets sont rarement investis d’une fonction unique, le mobilier pouvant accumuler à la fois celles de structuration, rangement, monstration, identification, individualisation, auxquelles s’ajoute une fonction symbolique. Une analogie peut être faite avec le constat formulé par Jean Baudrillard au sujet de l’environnement quotidien: «les multiples objets y sont en général isolés dans leur fonction, c’est l’homme qui assure, au gré de ses besoins, leur coexistence dans un contexte fonctionnel, système peu économique, peu cohérent. [...] La tendance actuelle n’est d’ailleurs pas du tout de résoudre cette incohérence, mais de répondre aux besoins successifs par des objets nouveaux.»11

Fiche d’activité, classe de petite section, Saint-Max, mars 2014.

Fiche d’activité, classe de petite section, Saint-Max, mars 2014.

Fiche d’activité, classe de petite section, Nancy, décembre 2016.
En maternelle le savoir est pluriel et transversal; sa transmission est orchestrée par un enseignant et s’appuie sur l’unité de lieu que constitue la salle de classe. De cette particularité découle le fait qu’il soit porté par des objets et supports graphiques divers pouvant être rattachés à une notion concrète mais aussi réinvestis dans d’autres enseignements. La diversité d’usages qui accompagne la pléthore d’éléments regroupés dans une classe, suppose de considérer ces manifestations d’objectivation des savoirs à des échelles variables: l’architecture, le mobilier, les supports graphiques, le matériel, sans exclure les situations où plusieurs de ces échelles sont associées, d’autant plus qu’elles accentuent la dimension transversale des apprentissages. Prenons l’exemple de l’étiquette personnelle de l’enfant: généralement constituée d’une photographie et du prénom reproduits sur un papier plastifié, l’association de quelques lettres accompagnées d’une image permettent de travailler l’écriture, sa production graphique, sa discrimination visuelle, son identification qui conduit à la lecture, l’identification de l’enfant au sein de l’espace social de la classe, la ritualisation des activités, la signature, le rapport d’échelle entre le modèle et la reproduction, la matérialité du support en relation aux éléments de la classe, la progression dans l’acquisition de l’écriture... C’est aussi le cas de cette dernière puisqu’elle se présente dans un état embryonnaire: celui d’un geste dont le développement requiert l’acquisition de compétences connexes telles que la motricité fine, l’orientation visuelle, la latéralisation physique, abordées dans des ateliers qui font l’objet d’enseignements spécifiques.

Étiquettes de prénoms, classe de moyenne section, Brin-sur-Seille, décembre 2016.
Au collège, le savoir dispensé par un enseignant est circonscrit à une matière dont l’unicité est portée principalement par un instrument pédagogique dédié, le manuel scolaire12, dans lequel se déploie un appareil documentaire composé de ressources textuelles et iconographiques qui alimentent tantôt la leçon, tantôt les activités qui s’y rattachent. Si dans une classe les savoirs se matérialisent à travers des objets qui tentent de faire appréhender le monde et sa complexité constitutive, dans un manuel scolaire ils sont inévitablement portés par des éléments graphiques structurés de telle sorte qu’ils participent d'une lecture subjective de la vérité. L’instrument sert de support à des représentations du réel organisées à l’échelle d’un objet fonctionnant sur la structure du codex et qui emprunte des outils de navigation spécifiques (titres, pagination, index, table des matières). Alors que l'on est face à un support écrit de surface plus réduite que celle d'une salle de classe, l’observation d’ouvrages contemporains13 laisse entrevoir des strates aussi denses que celles trouvées dans la classe: signes, iconographie, couleurs et formes s’associent sur chaque double-page, dont le format est en moyenne proche de 42 × 29 cm, pour composer des paysages où cohabitent un nombre non négligeable d’éléments graphiques. Ces quatre niveaux de lecture déploient un vocabulaire visuel pouvant combiner plus d’une dizaine de styles de caractères différents; les documents iconographiques se déclinent en images de natures hétérogènes (illustrations, photographies, documents d’archives, graphiques...); la couleur n'échappe pas aux conventions qui réservent l'usage du bleu aux mathématiques, du rouge et du violet à l'histoire, du vert et du bleu clair à la géographie ; aussi, des effets graphiques issus des logiciels de mise en page (contours, dégradés, aplats, ombrés, reliefs, pointillés...) viennent habiller les ressources évoquées et/ou combler les surfaces vides entre les documents, de façon à ce que l'ensemble paraisse davantage ludique qu'austère aux yeux des consommateurs (maîtres et élèves).

Éloïsa Pérez, Le graphisme du livre scolaire, 2013, 278 p., 195 × 275 mm, © Éloïsa Pérez / Ensad. Relevé dans leur ordre d'apparition des couleurs et encadrements graphiques utilisés dans le manuel scolaire Histoire Géographie 5e, éditions Hatier, 2011, 352 p.
Au premier regard les salles de classe développent des logiques de structuration analogues, participant ainsi de la construction d’une «forme scolaire» identifiable. Aussi, la plupart des livres scolaires français contemporains se ressemble, du moins suffisamment pour pouvoir les rattacher à un genre éditorial donné. En effet, dictée par des usages et des pratiques pédagogiques qui peinent à évoluer, la forme graphique des ouvrages décrit une grammaire visuelle spécifique, où la marge d’innovation est proportionnelle à une prise de risque inexistante, soutenue par le marketing mis en place par les éditeurs scolaires et les objectifs commerciaux de vente associés à chaque ouvrage. Alain Choppin écrit qu’«il est difficile de faire la part, dans l’évolution du manuel, des innovations d’origine pédagogique, de celles qui découlent des progrès de la technique et de celles qui ressortissent à la surenchère commerciale»14. Le système de production propre aux éditions à tirage élevé s’accompagne d’impératifs matériels qui façonnent le savoir autant qu’ils font émerger des constantes matérielles (nombre de pages, choix de papiers, type de couverture, reliure, mode d’impression) programmées en amont de la conception de l’ouvrage pour optimiser les coûts et ne pouvant être modifiées en fonction des contenus. Un lecture analytique révèle pourtant des différences dans les moyens mis en œuvre pour les matérialiser, d’autant plus que la valeur didactique de ces livres suppose que la transmission des matières n’appelle pas les mêmes ressources: les ressources diffèrent entre un livre d’histoire-géographie pour le collège qui propose en moyenne 150 documents textuels et 700 documents iconographiques répartis sur 400 pages, et un manuel de mathématiques qui comporte essentiellement l’explication de formules algébriques et de constructions géométriques, et où tout autre élément iconographique revêt une valeur illustrative servant à habiller les pages. En ce sens, les éditeurs déclarent que chaque manuel scolaire constitue un monde, qu’il faut qu’il y ait de la vie15. Au sein du paysage éditorial, ce genre d’ouvrage suit le modèle du magazine avec des couleurs criardes et des mises en pages «spectaculaires», où se tissent des espaces visuels touffus, difficiles d’accès pour l’œil et la compréhension. Leur lecture s’apparente à une consultation, par fragments, mais requiert paradoxalement une réelle attention de la part du lecteur. On assiste à une volonté de mise à disposition des ressources liée à une logique de consommation, puisque la plupart du contenu doit être accessible d’un simple survol du manuel.

Éloïsa Pérez, Le graphisme du livre scolaire, 2013, 278 p., 195 × 275 mm, © Éloïsa Pérez / Ensad. Relevé dans leur ordre d'apparition des 704 ressources iconographiques utilisées dans le manuel scolaire Histoire Géographie 5e, éditions Hatier, 2011, 352 p.
La logique de la boîte à outils: des objets plurifonctionnels
Précédemment décrits comme des «espaces constitués d’espaces», la salle de classe en maternelle et le manuel scolaire au collège dessinent des dispositifs composites16. Dans la salle, les trois typologies d’espaces qui se distinguent (le regroupement, les jeux, les activités spécifiques) sont matérialisées par la présence de «coins» qui fragmentent les compétences à transmettre. Certains sont fixes (bibliothèque, regroupement, écriture, cuisine...), d’autres temporaires (peinture, motricité, construction...). Leur présence est induite par des objets connotant chaque zone, qui acquièrent de fait une valeur indicielle puisque leur visibilité permet l’identification des espaces et renseigne sur les activités qui s’y déroulent. De fait, la simultanéité des coins observables en maternelle traduit la diversité des activités réalisées. Dans le manuel, le découpage du savoir est marqué par la constitution de matières (français, mathématiques, histoire-géographie, éducation civique, sciences et vie de la terre, physique-chimie, anglais...). Chacune épouse les instruments de navigation propres au support matériel dans lequel elle se déploie, en l’occurrence le codex, et apparait découpée en parties17, chapitres, leçons, activités et ressources, calibrées à partir de la double-page. Cette unité traduit une contrainte majeure qui implique la concentration d’un maximum d’informations, provoquant une standardisation des ressources textuelles et iconographiques utilisées: «Le calibrage de ‹l'unité leçon› se manifeste avec une parfaite régularité. Or ce calibrage a des incidences sur le découpage même de la matière enseignée et provoque des effets secondaires sur la répartition du temps pédagogique.»18 Qu’elle se produise à l'échelle d'une classe ou d'un manuel, la fragmentation des savoirs préfigure une progression à long terme. La temporalité s’exprime par l’élaboration de séquences pédagogiques courtes en maternelle, en accord avec le temps d’attention des jeunes enfants. Elles sont matérialisées par les coins simultanés dans lesquels se déroulent des ateliers successifs qui permettent aux enfants d’explorer des compétences variées dans un temps équivalent à celui qu’un collégien mobilise pour traiter l’information offerte par une double-page du manuel, un fragment de leçon issu d’une matière unique.

Coin regroupement, classe de grande section, Nancy, décembre 2016.
La diversité matérielle et documentaire diffère d’un coin à un autre et selon la nature des matières. Parmi les coins, celui dédié au regroupement figure une mise en abyme de l’espace de la classe: il conjugue l’architecture, le mobilier, les supports graphiques et le matériel dans une démarche pédagogique fonctionnelle. Des constantes sont observables, notamment la présence d’un espace d’affichage (tableau, mur), d’une chaise et de bancs, ainsi que la malléabilité des ressources, traduite par leur fragmentation et leur caractère repositionnable. L’espace d’affichage opère à l’image d’un instantané: il témoigne du déploiement d’instruments dont a besoin l’enseignant pour conduire sa séance. Ainsi, on y retrouve à la fois des productions éphémères et des affichages pérennes, qui ont tantôt la valeur de modèle tantôt celle d’illustration, tout comme des objets liés à une contextualisation temporelle (feuilles séchées à l'automne, calendrier de l'avent à Noël, galette des rois en janvier, masques de carnaval en février, œufs de pâques en avril...). Les diverses pratiques qui se développent dans cet espace participent de l’élaboration de sa forme, autant que la grammaire visuelle associée aux manuels scolaires souffre de la pluralité d’usages qui lui est réservée. Cherchant à isoler chaque ressource présente sur chaque page pour permettre à l’enseignant de s’y référer aisément, on assiste à une accumulation d’effets de distinction qui opèrent sur trois niveaux: entre parties, chapitres, leçons et activités qui composent l’ouvrage; entre ressources iconographiques et textuelles présentes sur les double-pages; entre modules fragmentés qui constituent ces ressources. Les transformations formelles épousent les changements des usages, tel que le montre l’évolution du format (autrefois petit pour accentuer la fonction d’aide-mémoire assignée au manuel) ainsi que les techniques liées aux progrès de l’imprimerie. N’oublions pas que d’un point de vue matériel, le manuel scolaire est issu d’un système qui, dans ce contexte, répond à des contraintes de production industrielles: «Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le renouvellement du matériel typographique, la généralisation de nouvelles techniques (offset, héliogravure...) entraînent une transformation spectaculaire des livres de classe. L’illustration prend une place prépondérante, la couleur est bientôt utilisée de manière systématique. Le manuel est techniquement prêt à jouer l’un des rôles que lui octroient les nouvelles conceptions pédagogiques: celui d’un recueil de documents.»19

Casier de rangement, classe de petite section, Guéret, novembre 2016.
La dimension fonctionnelle tient également aux objets qui connotent le rangement, le classement et l’identification, dans la classe (classeurs, casiers, étiquettes des prénoms, tableau des présences...) et dans le manuel (cadres, chiffres, légendes...). Aussi, la ritualisation des activités est garantie par la présence de supports graphiques à valeur indicielle qui déploient une signalétique dans la salle et opèrent à la manière des gabarits qui répartissent les éléments au sein de la page, et par celle de coins fixes assimilables à la structure globale du livre. Dans les deux cas, la logique de la boîte à outils, induite par l’organisation volontaire d'un «espace-classe» dans la salle et la double-page, s’accompagne d’une occupation du vide. L’impératif est de montrer un maximum de ressources en un minimum d’espace, avec une mise en scène spectaculaire des savoirs de façon à présenter la richesse et à provoquer l’éveil, en évitant l’ennui et le désenchantement des élèves. La plupart des éléments sont rendus visibles, que ce soit par le choix du mobilier ou par la mise en pages des manuels, afin d'évacuer ce qui est perçu comme symbole de pauvreté, le blanc, et de garantir un gain de temps dans la mise en place des activités et dans l'identification des ressources disponibles. Se référant au texte littéraire dans sa dimension linguistique, Umberto Eco décrit «un tissu d'espaces blancs, d'interstices à remplir [...] un mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire»20, où le blanc volontairement laissé par l'auteur du texte garantit un enrichissement collectif et donc la «co-construction» d'un sens qui diffère d'un lecteur à un autre. Dans le cas des dispositifs scolaires observés, alors qu’ils visent le développement d’un imaginaire et la construction intellectuelle, l'absence de vide traduit une dimension purement didactique qui semble exclure l’interprétation du lecteur-usager, qu’il s’agisse de l’enfant ou du maître. Pourtant, ces remplissages par la profusion de ressources participent du développement de pratiques d'appropriation, que la métaphore du «bricolage» permet de caractériser. Au sens propre comme figuré, maîtres et élèves bricolent dans et à partir de ces dispositifs, encouragés par la diversité et la pluralité d'éléments mis à disposition. Parce qu'en maternelle la liberté pédagogique s’exprime à travers la possibilité laissée à l’enseignant d’organiser à sa convenance la classe dont il a la responsabilité, il est en mesure d’en faire autant un lieu de stockage qu’une scène où sont disposés les éléments servant sa pédagogie et qui la révèlent aux regards extérieurs. Au collège et au lycée, comme il n’y a pas une salle de classe attitrée par enseignant, la pédagogie se traduit par le choix des manuels utilisés et les possibilités de recomposer leurs supports de cours à partir des ressources pédagogiques et spécimens envoyés par les éditeurs scolaires, qui n’ignorent pas ces pratiques de «bricolages éditoriaux», étant donné qu’elles sont encouragées par les maquettes des ouvrages. Ainsi l'interprétation «co-constructive» opère au niveau de la matérialité, compte-tenu de l'élaboration de nouveaux supports à partir des matrices esquissées par la salle et le manuel.
La spectacularisation des savoirs d'une part, et les pratiques d'appropriation d'autre part, soulèvent la question des voix qui énoncent et s'énoncent à travers les dispositifs pédagogiques évoqués. Brigitte Dancel aborde le cahier d'écolier comme une «partition écrite à quatre mains»21. À l'adulte et à l’enfant représentés par ces mains, s'ajoute la voix de l’éditeur qui commercialise le cahier derrière laquelle se cachent les voix de l’auteur de la réglure, du graphiste-maquettiste en charge de l’aspect graphique du cahier, du fabricant de papier et de l’imprimeur. Cette polyphonie énonciative va de pair avec la densification sémiotique des supports scolaires, puisqu’elle repose sur l'équilibre entre un jeu d'élaboration de contraintes (économiques, matérielles, institutionnelles, idéologiques...) et l'exercice de la liberté pédagogique des enseignants. Si la mise en scène des savoirs suit une logique de séduction guidée tantôt par les enjeux commerciaux qui accompagnent la diffusion d’outils pédagogiques, tantôt par la volonté de minimiser la lassitude des élèves, elle impacte également les pratiques pédagogiques dans la mesure où chaque typologie de support engage des gestuelles d'utilisation qui lui sont propres.

Cahier d’écriture, classe de cours préparatoire, Saint-Max, mars 2014.
Dispositifs graphiques et gestuelles éducatives
L’organisation des objets à l'échelle de la salle de classe et du manuel scolaire répond à des critères supposés liés aux méthodes pédagogiques. Dans les classes observées, le mobilier opère comme un cadre: les meubles apparaissent tels des blocs juxtaposés les uns aux autres, et de par leur présence, ils dessinent un parcours et structurent la pièce en la compartimentant. Ils captent l’attention aussitôt franchi le pas de la porte car ils décrivent des volumes qui occupent la plupart de l’espace. Ils matérialisent le contenu de la salle et induisent les déplacements corporels à l’intérieur de celle-ci, de la même manière que les blocs typographiques conditionnent les mouvements physiques de l’œil lors de l’activité de lecture de la page. La fragmentation de l’espace permet la constitution des coins précédemment cités où se déroulent des activités collectives réalisées en ateliers. Elle date des années 1970, au moment où s’opère une rupture dans l'organisation traditionnelle de la salle de classe construite autour du bureau de l'enseignant, et rappelle la loi relative à l’éducation du 11 juillet 1975 qui établit que «l’architecture scolaire a une fonction éducative; elle est un élément de la pédagogie»22. Celle-ci contribue à développer l’idée que l’architecture de l'école porte en elle des intentions, telle «une forme silencieuse d’enseignement»23, à une époque où les «écoles casernes»24 constituaient la norme en matière d’établissement scolaire. L'espace éclate suivant une logique de flexibilité pour accompagner les enseignements collectifs et simultanés25 caractéristiques de l'école maternelle, qui épousent les contraintes dictées par le développement cognitif des enfants et leurs capacités d’attention. Célestin Freinet avait formulé le besoin d’un «milieu aidant d’expériences tâtonnées d’une variété et d’une richesse à la mesure de la vie», mais il met en garde contre deux postures qui se développent suite à cette injonction: d'une part, la tendance scolastique «qui veut orienter trop vite les enfants vers le devoir et la leçon scolaire», et la tendance infantile «qui, au contraire, semble vouloir couver l'enfant à un stade qu'il a pourtant dépassé»26. Le réagencement de la salle de classe accentue la fragmentation des savoirs et interroge le modèle traditionnel de l'enseignement frontal parce qu'il induit l'idée d'une forme de pédagogie médiatisée, portée par des objets impliqués dans les ateliers que l'enfant expérimente à travers une démarche active. La linéarité est rompue, au profit d'une confluence de compétences à acquérir, provenant de différents pôles de la classe27. Ainsi, la salle engendre des espaces collectifs sous forme d'atelier, qui révèlent la dimension à la fois plurielle et transversale des apprentissages et garantissent une «autonomie-guidée» des élèves.

Vue d’un agencement de salle traditionnel, classe de cours élémentaire, Saint-Max, avril 2014.
Au collège et au lycée, enseignants et élèves migrent d’une salle à une autre, en fonction des matières enseignées. Sauf dans le cas où celles-ci nécessitent un matériel particulier (physique-chimie, technologie, sport, musique, arts plastiques...) qui impose une unité de lieu, la plupart des matières générales peuvent être enseignées indépendamment dans une salle ou dans une autre ce qui a pour conséquence une neutralité des espaces. Comparés à la classe de maternelle, ils sont relativement épurés, vidés de toute fonction didactique et d'intentions pédagogiques. Si dans certains établissements scolaires, les enseignants d’une même matière font le choix d’un matériel commun qui connote la matière en question (cartes du monde et frises historiques, matériel de tracé géométrique) et facilite le repérage des salles et par extension l’orientation des élèves dans l’établissement, leur action sur l’espace de la classe reste considérablement limitée en comparaison avec celle d’un enseignant d'école maternelle ou élémentaire. Ici, l’espace physique de la salle de classe s'efface derrière l'espace du livre, qui devient alors une méthode dans la méthode, et condense la plupart des ressources sollicitées pendant le cours. On assiste au désencombrement progressif de l'«espace-classe» physique, au profit de la surcharge de l'«espace-classe» que constitue le manuel. Ce passage modifie le rapport au corps car «les espaces scolaires sont doubles: simultanément des constructions réelles, des bâtiments, et des constructions virtuelles, relatives à des expériences intersubjectives de l'espace vécu»28. Ce corps auparavant sollicité par les éléments qui l’entourent devient figé, dans une posture d’écoute qui accentue la linéarité de l’enseignement véhiculé par l’emploi exclusif du manuel scolaire.
La densification graphique de ce dispositif marque l’individualisation des apprentissages et illustre la pédagogie «bancaire»29 dénoncée par Paulo Freire puisque «dans la vision ‹bancaire› de l’éducation, le ‹savoir› est une donation de ceux qui jugent qu’ils savent, à ceux qu’ils jugent ignorants»30. En possession du support, l’élève porte en lui le savoir qu’il a été jugé bon de lui transmettre et se place, de fait, dans une posture d’autonomie vis-à-vis de celui-ci tout en participant d'un apprentissage collectif car chacun possède son exemplaire du manuel mais le travail en classe se fait à partir d’une même activité. Seulement, la complexité graphique élaborée suivant une logique aguicheuse de mise en pages de magazines sensée séduire et attirer, se pose en obstacle à la compréhension du savoir présenté. La conception bancaire de l’éducation agit comme une entrave au développement du sens critique des élèves, tant sur la forme que sur le fond, dans la mesure où «plus les élèves s’emploient à archiver les ‹dépôts› qui leur sont remis, moins ils développent en eux la conscience critique qui permettrait leur insertion dans le monde comme agents de transformation, comme sujets»31. En ce sens, rappelons que la pédagogie développée dès les années 1920 par Célestin Freinet est connue pour avoir utilisé la typographie dans l’enseignement des jeunes enfants. En mettant l’écriture mécanique entre leurs mains, il leur a permis d’expérimenter ce que Fernand Baudin appelait l’écriture en différé32, c’est-à-dire une manière de s’exprimer indépendante des facultés motrices nécessaires à la production manuscrite. L'approche Freinet offre une liberté dans la gestion des supports d’apprentissage en invitant les enfants à une production autonome au moyen d'imprimeries installées dans les écoles. Ainsi, ils éprouvent de façon active des mécanismes d'élaboration des discours et expérimentent l'incidence de l'image du texte33 dans l'élaboration et la transmission des idées.
En maternelle, le jeune âge du public conduit à développer des médiations spécifiques pour transmettre les savoirs à ceux qui ne maîtrisent pas encore les formes conventionnelles de communication orales et écrites basées sur la compréhension d’un système alphabétique. John Berger écrit que «le voir précède le mot»34 et les exemples ne manquent pas pour illustrer le principe de la matérialité pédagogique, qu'il s'agisse des Dons de Friedrich Fröbel, dont le matériel montessorien prolonge les principes, ou des productions d'artistes et designers tels que Bruno Munari qui, à travers ses Prelibri et ses Libri illegibili, explore les voies d'une communication qui soustrait la dimension linguistique du texte35. Ces formes pédagogiques suivent des logiques transversales génératrices d’ensembles d’objets qui nécessitent l’élaboration de dispositifs les mettant en relation. La matérialité pédagogique interroge le statut de l’objet: opère-t-il comme un moyen de développer et d’acquérir le savoir ou prend-il la place de ce dernier? Aussi, il s’agit de comprendre s'il est possible de parler d’autonomie dans le rapport d'usage qui lie un sujet à un objet, et par extension, si la matérialité pédagogique participe de l'épanouissement des élèves ou au contraire de leur asservissement à une forme objectivée de l'apprentissage.
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Michel Serres raconte comment s’est opéré ce changement de paradigme: «jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps même du savant, de l’aède ou du griot. Une bibliothèque vivante... Voilà le corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s’objectiva d’abord dans des rouleaux, vélins ou parchemins, supports d’écriture, puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d’imprimerie, enfin, aujourd’hui, sur la toile, support de messages et d’information.» Michel Serres, Petite poucette, conférence donnée lors de la séance solennelle «Les nouveaux défis de l’éducation», à l’Académie française le 1er mars 2011. ↩
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Cf. Jean Houssaye, Théorie et pratiques de l'éducation scolaire, Berne, Peter Lang, 1988. ↩
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La notion de «dispositif» a fait l’objet de nombreuses définitions. Nous retiendrons celle de Michel Foucault qui y inclut «du dit aussi bien que du non-dit» (cf. Michel Foucault, Dits et écrits, III, Paris, Gallimard, 1994, p.299), ainsi que celle donnée par Giorgio Agamben: «tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants» (cf. Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2014). ↩
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La constitution de ce corpus s’est faite en deux temps, le premier entre janvier et février 2014, puis entre novembre 2016 et janvier 2017. Au total, 19 classes issues de huit établissements scolaires publics situés en Lorraine et dans le Limousin ont été visitées. Les séances d’immersion ont permis de cartographier les espaces des salles de classe en écoles maternelles et élémentaires, à travers des prises de vue photographiques, et d’échanger avec les enseignants au moyen d’un questionnaire orienté sur leurs pratiques pédagogiques. ↩
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Derrière cette expression, Yves Jeanneret décrit une «procédure rhétorique qui consiste à charger un texte ou un message de beaucoup de signes connus, évocateurs, susceptibles d'attirer l'attention». Cf. Yves Jeanneret, Critique de la trivialité, Paris, Éditions non standard, 2014, p.11. Le terme «densification» est emprunté à Karine Berthelot-Guiet, qui l’emploie dans ses recherches pour qualifier les logiques des messages publicitaires. Cf. Karine Berthelot-Guiet, Paroles de pub, Paris, Éditions non standard, 2013. ↩
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Cf. Françoise Waquet, L’ordre matériel du savoir, Paris, CNRS éditions, 2015. ↩
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En France, la maternelle est à la fois une composante du système scolaire—un temps qui définit les lignes directrices des connaissances destinées aux enfants âgés de 2 à 6 ans—, et un lieu concret—un bâtiment indissociable des caractéristiques matérielles de l’architecture qui le porte. Elle est répartie en quatre niveaux suivant l’âge des enfants : la toute petite section (2–3 ans), la petite section (3–4 ans), la moyenne section (4–5 ans) et la grande section (5–6 ans). Les classes de toute petite section ne sont pas proposées par tous les établissements et les classes de double-niveau sont fréquentes et dépendantes des effectifs. ↩
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Par mobilier nous entendons les objets installés dans un espace, en l’occurrence la salle de classe, qui ne proviennent pas de l’architecture, dont la situation est définie dans et sur le cadre délimité par l’espace observé et qui assurent l’aménagement de celui-ci. ↩
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La première, regroupe ceux «qui font entrer le monde à l'école, tel que ou par ses représentations», la deuxième ceux qui «visent au contraire à rendre compte du monde, à en percer les secrets, à en comprendre l'ordre et la raison», la troisième, ceux qui sont indispensables à l'activité éducative et qui participent de l'acquisition des moyens de la connaissance, la quatrième ceux qui «assistent l'école dans sa propre construction, comme un monde en marge du monde», et enfin dans la cinquième strate ceux qui «conduisent l'école à se donner en représentation à elle-même et au monde». Cf. Pierre Mœglin, Outils et médias éducatifs, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p.43–57. ↩
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Extrait d’une conférence d’Yves Jeanneret intitulée «La communication à l’ère du numérique, rouages et enjeux de pouvoir», donnée à Iségoria, Nantes, le 23 février 2015. ↩
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Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p.14. ↩
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En France, le décret du 29 janvier 1890 impose aux instituteurs des établissements publics de recourir à des livres pour leur enseignement, parmi lesquels le manuel s’est imposé comme l’un des symboles de l’institution scolaire, symbole des connaissances qu’il était impossible d’ignorer. Cf. Éloïsa Pérez, «La petite fabrique du spectacle: le manuel scolaire, symbole d’une industrie en mutation,» Strabic.fr (article en ligne), 2015. ↩
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Notre analyse se base sur un corpus constitué de 30 manuels scolaires de niveau collège (classes de sixième, cinquième, quatrième, troisième), toutes matières confondues (français, mathématiques, histoire-géographie, sciences de la vie et de la terre, physique-chimie, anglais, éducation civique) produits par les éditeurs scolaires français historiques (Nathan, Belin, Hatier, Hachette, Magnard) entre 2010 et 2012. ↩
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Alain Choppin, «Le livre scolaire», in Roger Chartier, Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française, tome 4, Paris, Promodis, 1986, p.302. ↩
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Ces déclarations s’appuient sur des entretiens conduits entre octobre 2012 et juin 2013, auprès d’acteurs (éditeurs, directeurs artistiques, iconographes, graphistes) issus des principales maisons d’édition scolaire françaises. ↩
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Les «composites» caractérisent des situations au sein desquelles des individus mobilisent à la fois la signification d’objets matériels et des représentations, réalisent des actions et mettent en œuvre des systèmes de normes ou des règles opératoires. Cf. Joëlle le Marec, Ce que le «terrain» fait aux concepts: vers une théorie des composites, Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris 7, 2002. ↩
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Le mode d’emploi présent en début de chaque manuel scolaire expose la fragmentation du savoir proposée: il permet à l’enseignant de visualiser la progression, de façon à organiser ses séances de travail en fonction. ↩
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Annette Beguin-Verbrugge, Images en texte, images du texte, Villeneuve-d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2006, p.82. ↩
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Alain Choppin, op.cit., p.305. ↩
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Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs (1979), Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 1985 (trad. française)—2010 (9e édition), p.64. ↩
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Brigitte Dancel, «Le cahier d’élève: approche historique», Repères, №22, 2000, p.121. ↩
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Jacques Treffel, «Équipements scolaires, pédagogies et espaces scolaires», in Gaston Mialeret, Jean Vial (dir.), Histoire mondiale de l’éducation, tome 4, Paris, Presses Universitaires de France, 1981, p.176. ↩
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Georges Mesmin, L’Enfant, l’architecture et l’espace, Paris, Casterman, 1971. ↩
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Anne Denner, Jacqueline Dana, L’Environnement de l’enfant, Paris, Seuil, 1973, p.173–174. ↩
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Pierre Mœglin, op.cit., p.42. ↩
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Sur cette deuxième tendance, il ajoute qu'elle «a donné naissance à une infinité de jeux soi-disant éducatifs et qui ne sont que des passe-temps plus ou moins ingénieux ou peut-être, en définitive et surtout, une source intéressante de bénéfices pour ceux qui les fabriquent et les vendent». Voir Célestin Freinet, Pour l'école du peuple, textes rassemblés par Élise Freinet, Paris, Librairie François Maspero, 1969, p.31-32. ↩
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Il convient de préciser que le coin regroupement est le seul où enfants et adultes partagent une situation de dialogues collectifs. C'est un lieu vivant où les échanges se multiplient, comme en atteste la pluralité de ressources à disposition. Parce que le maître doit accéder aisément aux éléments nécessaires à l'animation de sa séquence, la construction de cet espace épouse les besoins pédagogiques dictés par une approche linéaire de la transmission, contraire à celle que l'on observe dans les autres coins qui structurent la salle de classe en maternelle. Alors que les coins permettent la déconstruction du modèle pédagogique traditionnel, l'espace regroupement va à l’encontre de cette logique. Il agit comme une classe dans la classe, installant l’enseignant devant un tableau avec les enfants répartis autour de lui sur des bancs dans une posture proche de celle que l'on retrouve dès l'entrée en école élémentaire, où le dispositif le plus courant dicte un quadrillage fait de rangées de tables individuelles disposées en face d'un ou plusieurs tableaux. ↩
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Maurice Mazalto, Luca Paltrinieri, «Espaces scolaires et projets éducatifs», Revue internationale d'éducation, №63, 2013, p.39. ↩
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La pédagogie «bancaire» dénonce le système de transmission linéaire qui opère entre un détenteur du savoir et celui qui l’absorbe, traditionnellement un enseignant et un élève. Dès lors que des supports pédagogiques intègrent le processus, ici en l’occurrence le manuel scolaire, le détenteur du savoir cesse d’être l’enseignant au profit de la parole d’un acteur économique, l’éditeur qui élabore le manuel suivant des contraintes commerciales. ↩
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Paulo Freire, Pédagogie des opprimés, Paris, Librairie François Maspero, 1974, p.51. ↩
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idem, p.53. ↩
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En rendant mécanique la production de l'écriture jusqu'alors manuscrite, l'imprimerie et la typographie ont provoqué ce que Fernand Baudin définit comme «l'effet Gutenberg». À travers cette expression, le «typographiste» décrit la rupture d'un «équilibre socioculturel» qui séparait «ceux qui dessinent les caractères de ceux qui les assemblent». Il parlera alors de la typographie comme d'une écriture «en différé» par distinction avec l'écriture «en direct» tracée à la main. Cf. Fernand Baudin, L'Effet Gutenberg, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1994. ↩
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Emmanuël Souchier, «L'image du texte. Pour une théorie de l'énonciation éditoriale», Les Cahiers de médiologie, №6, 1998, p.144. ↩
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Cf. John Berger, Voir le voir, Paris, Éditions B42, 2014 (version originale publiée par la British Broadcasting Corporation et Penguin Books Ltd en 1972). ↩
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Éloïsa Pérez, «Les formes du gai savoir», Étapes, №225, 2015, p.170-183. ↩
Published on <o> future <o>, October 20, 2017.
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- [CC BY-NC-ND](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/)
Ce texte fait partie d'un ensemble en cours d'élaboration, publié à l'initiative de Jérôme Dupeyrat et Laurent Sfar en écho à «La Bibliothèque grise». Constituée depuis 2015, cette «Bibliothèque» réunit des livres, documents, images et objets qui sont à la source de divers projets visant à explorer les pratiques, les espaces et les formes à travers lesquels sont transmis les connaissances et les savoirs. En s'intéressant notamment au champ de la pédagogie, à l'histoire du livre et de l'édition, et à leur relation à l'art et au design, «La Bibliothèque grise» explore les processus de transmission qui entrent en jeu dans la construction des individus et s'attache à en saisir la dimension esthétique. Voir: Géraldine Gourbe, «La pédagogie d’Other Ways par Allan Kaprow et Herbert Khol, au cœur d’un contexte contre-culturel» [Lire]; Marie-Dominique Leclerc, «Lire, écrire, compter avec la Bibliothèque bleue» [Read]; Andrew Stauffer, «To raise books to the level of historical witnesses», a conversation with Alexandru Balgiu, Jérôme Dupeyrat and Laurent Sfar [Lire]; Araceli Tinajero, «Cigar Factory Readers in Cuba» [Lire].