Personne ne possède cette maison.
Je me trouvais quelque part à l’intérieur
C’était la maison de ma mère.
«Je danse tous les matins.»
Socrate
«Je vais cuisiner un dîner pour tous les gens du monde, le soleil sera là mais ne fera pas fondre la nourriture, et les nuages s’assoiront calmement autour de la table sans pleuvoir, et la lune viendra mais il ne fera pas trop sombre.»
Sophia
qui si tu peux te nourrir en suffisance se perpétuera peut avancer & vivre jusqu’à ce qu’il meure en ce moment dans ce monde des millions d’autres de ton espèce qui pourrais-tu dire au moyen du langage mangent se lèvent & s’assoient, baisent & chient ingèrent procréent & défèquent sur ce même sol ou alentour, comme tu préfères tu te tiens assise debout ou allongée sur un monde globe orbe ou circonstance qui est une planète tournant sur son axe en orbite autour du soi-disant soleil que pourrais-tu dire d’autre c’est vrai? Tu pourrais d’abord raconter si tu te souviens souvent que tu es un être de ce genre dans un endroit de ce genre tu pourrais dire ce que ça te fait avec une mémoire et si tu ressens souvent cette attraction (différente d’être célèbre ou trouvé beau) qui te pousse à sortir de ton moi et ton coin qui est un coin si petit si étriqué que si tu l’habitais sans le passé tu ne connaîtrais peut-être même pas la forme de la terre et pas grand-chose du reste (quelqu’un a dit je t’aime je veux être toi). La vie intelligente est rétrograde et ondoyante ça n’a aucun sens si l’on sait dans quoi et comment on séjourne, ou bien où l’on séjourne et comment on y demeure. Par exemple, une femme dit à son amant: «Tu peux aller sur Jupiter pour ce que ça m’importe», & son amant lui répond: «Pour autant que je sache, tu y as déjà fait un tour tellement tu es à côté de la plaque.» Je pourrais être une activiste politique qui trouve rarement le temps de dîner et te dire: «Tu as les poignets les plus beaux et les plus captivants de tous les temps, tes poignets sont parfaits.» J’aurais «tort» de dire cela. Il serait bon d’avoir des divertissements et des cérémonies destinés non pas à nous distraire mais à nous souvenir de tout à la fois. Ce serait agréable d’aller au cinéma sans devoir se soucier de l’argent. Ce serait formidable si tous les gens sur terre avaient chacun ce dont elles ou ils ont besoin pour vivre, être en bonne santé et faire quelque chose en tant que partie ou en tant que tout de toute chose au lieu de l’avidité de certaines personnes qui s’intègrent à d’anciens systèmes lorsqu’il n’y avait aucune chance de tout savoir qui aujourd’hui trompent ou pire ceux qui ne sont pas eux, bien qu’avant ils savaient cela aussi. Pour moi essayer d’être toi n’est pas la pire chose qu’on ait connue même si les psychanalystes tentent de nous mettre en garde contre un tel «amalgame» lorsque ce ne sont pas des dentistes qui vous l’appliquent. Mieux vaut pour moi apprendre à être quelqu’un d’autre et beaucoup d’autres, ta présence en moi fait battre mon coeur. Ce langage est peut-être idiot mais toi et moi le sommes encore plus, nous pourrions venir de pays différents et ne plus savoir comment la Terre s’est peuplée à l’origine. Tu pourrais aller te coucher avec ton amant et te demander comment cette personne peut mal te connaître au point d’imaginer que tu veux un intérieur plus opulent alors que tout ce qu’il te faut est un chemisier plus flottant — afin de dormir avec la lumière allumée ou même totalement habillée sans défaire le lit. Tu pourrais être une personne voulant deux ou cinq amants ou aucun ton amant pourrait en vouloir dix ou quinze ou même les imaginer tous rassemblés en une nuit et les torturer de quelque manière abstraite. Tout cela est évité par le temps ou la bonté et les règles de l’amour. Quand il n’y en a pas, jamais ta mère ou ton père ou tes amis ne peuvent s’étonner de ta satisfaction, ton amour débordant, ton désir frénétique, ta perte imbécile (tu es la pierre à présent, ou l’humus hilarant). Tu pourrais même être un politicien et profiter de n’importe quel style de vie sexuelle. Tu pourrais être n’importe qui; tu serais occupée. Si tu étais mariée ce serait un motif de divorce et si tu avais des enfants tu pourrais les perdre pour avoir été trop obscène aux yeux de la communauté ou quel est le mot impudique ou commencement. Impudique n’est pas comme les guerres, cela n’a rien à voir, baiser à longueur de temps autant qu’on peut être avide de sexe vouloir baiser tout le monde n’a absolument rien en commun avec une guerre, baiser tout le temps tout le temps baiser simplement faire l’amour vouloir caresser tous ses meilleurs amis vouloir les sucer leur donner du plaisir n’est pas la guerre ça n’a rien à voir avec la guerre, ces choses et les guerres n’ont rien en commun elles ne sont en aucun point semblables. Enrôler un homme pour lui apprendre à combattre, lui (ça ne vous dérange pas si j’exclus le pronom féminin?) enseigner des techniques de combat, lui apprendre à devenir un élément au sein d’une guerre, le couper des idéaux locaux, et pas de baise non plus, pas d’amour hormis l’amour vu comme néfaste, passible de cour martiale. Certaines personnes apprennent à faire la guerre pour défendre leur droit à la vie, c’est une réaction humaine, la révolte et le combat sont nécessaires (les gens de l’autre camp ne nous ont pas laissé d’autre choix et cherchaient le pouvoir). Il y a donc des conflits de toute part, pire que dans un mariage; il n’y a pas d’amour et personne n’est une personne (je n’ai pas besoin de parler de ça). Les gens et les autres animaux peuvent être carnivores, cela ne fait aucun doute. Ils mangent de la viande. Les gens qui mangent d’autres gens sont appelés cannibales et dans la même liste les gens qui tuent d’autres gens sont appelés assassins ou meurtriers, les gens qui se jettent à la mer de désespoir suicidés. Il y a des mots tels que victimes et homicide. Des gens sont décapités, battus, poignardés, tués et torturés par d’autres gens. Des gens sont jetés par-dessus bord, affamés, frappés, abattus, assassinés et détestés par d’autres gens. Des groupes entiers de gens sont détestés par d’autres gens à cause d’un désaccord sur l’appartenance d’une chose à l’un ou à l’autre, ou parce qu’un membre d’un groupe de gens a décrété que les siens étaient meilleurs — plus intelligents, plus chanceux, plus riches, plus enviables, plus beaux, ou simplement parce qu’ils ont l’ascendant sur l’autre groupe de gens qu’ils sont à même de les vaincre parce qu’à l’heure actuelle l’histoire qui est censée être le récit de ce qui s’est déroulé dans le passé regorge d’idées quant à la manière d’exploiter les gens qui n’ont pas assez à manger pour enrichir considérablement les gens qui les exploitent. Lorsque dans une maison où il y a une salle de bains un mari dit à sa femme: «La salle de bains est sale, pourquoi tu ne l’as pas lavée!?» c’est le reflet trivial des conséquences de ce type d’histoire. Si, en revanche, dans un monde qui a besoin de travail et dans lequel nous le savons tous, vous partez à une réunion importante pour se débarrasser une fois pour toutes des propriétaires et que votre amant s’appuie faiblement sur la table et vous dit: «Je ne me sens pas bien ce soir, je t’en supplie ne t’en va pas», il s’agit d’un tout autre problème car comme n’importe quel être humain nous devrions pouvoir être libres sans devoir oeuvrer à changer le monde en permanence comme s’il s’agissait d’un travail, si les choses étaient idéales, de plus, comme elles sont tout le contraire, qui a le temps de l’amour et de la vie à consacrer à son travail et à son émotion pour se souvenir de toute l’histoire du passé, toutes les connaissances s’y rapportant, et tous les détails du moment dans le quartier, dans le pays et dans le monde tout en même temps? Il devrait cependant y avoir d’autres gens sur lesquels tous nos amants pourraient parfois compter. Jadis on pensait ou prêchait qu’on pouvait changer le monde par exemple mais au fil de l’histoire cette posture est devenue l’apanage de personnes célèbres et si vous y réfléchissez si vous continuiez à aller de l’avant en faisant tout ce que vous croyez nécessaire à ce moment précis eh bien vous pourriez vous retrouver à la fois assassiné et vénéré, sinon pire. La plupart des gens choisissent de vivre dans ce monde dont ils ont hérité comme des cheveux noirs et des yeux noirs et une tendance familiale notable à avoir le deuxième orteil plus long que le gros orteil (ou du moins un bref souvenir désuet) parce qu’on retire du plaisir à se réveiller en se sentant bien et dans le bien-être, si une telle chose est possible, tout au long de la journée et de la nuit, et dans la compréhension et dans le lien avec les autres gens et à vivre avec eux, les regarder faire des choses et les écouter parler, accomplir des choses, et dans le désir et le sexe et toutes sortes de divertissements, dont la poésie, la musique, le théâtre et la danse, et dans l’amour et toutes ses émotions reflétées dans tous ces divertissements, et dans la satire, dans la réorganisation des pensées, et dans l’humour et la générosité comme des amis qui sont aussi intimes que des amants. Mais pas dans l’avidité ou le narcissisme ou toutes les autres saloperies plus détestables que n’importe quel fumier qui monopolise tellement de temps qu’il nous distrait (voire même invente le mot distraire, pour tailler notre esprit en pièces, pour nous rendre dingue) de ce que tout le monde sait, qui fait que chaque matin dans nos réveils compliqués, qu’ils soient sains ou non, nous sachions toujours tout chacun de nous comme si c’était peint sur le plafond, si vous avez un plafond, une série d’images permettant à votre mémoire de tout assimiler d’un seul coup: être humain vivant, minéraux éléments animaux plantes, planète système solaire galaxie, aliments habitations politique pays, guerres armes histoire déchets industriels, cosmos religions art magie, désir haine avidité, désir amour enfants mort. Se réveille avec un rêve:
J’étais à l’intérieur d’un homme (oh c’était la maison de ma mère) qui avait cinq lumières dans son coeur comme des oeufs cassés à la hâte dans une soupe bouillonnante, chaque lumière formait une phrase et je sais que dans ce rêve je me les rappelais toutes et dans chacune j’étais quelque part avec quelqu’un qui disait quelque chose mais celle dont je me souviens (dans une pièce avec mon oncle debout sur le côté parlant des morts), celle dont je me souviens disait: «Lorsqu’un homme se met à crier comme cet homme-là, tout ce dont tu as besoin est ton langage.» Et à présent je me souviens d’une autre, qui disait: «Deux pinceaux, fonctionnant comme des atomes, fabriquent le vase que tu veux peindre symétriquement, ma soeur.» Et comme un flic, une autre lumière disait: «Nous allons seulement contrôler votre permis de conduire pour vérifier que vous n’avez pas écrit de mauvais romans», et une autre dans laquelle nous sommes dans une friperie et où mon amant dit: «N’appelle pas Ben Franklin tout de suite!» ce à quoi je réponds: «Mais tu n’es pas excité par le bronzage de mes pieds?» Et cet être humain a le loisir utopique de tourner pour encore dix minutes supplémentaires de réflexion dans un lit un matelas sur ressorts recouvert de draps, je passe la tête sous la couverture et ressens une crainte nauséeuse et un désir de rester allongée et j’ai peur de sortir du lit et de faire quelque chose.
Published on <o> future <o>, June 20, 2016.
- Translation
- Jean-François Caro
- License
- ⓤ Utopian Copyright
Ce texte est un extrait du livre Utopia publié par <o> future <o> en 2016.