À la recherche du moi post-capitaliste, je souhaite proposer un court texte écrit et présenté sous forme de performance pour le «Kopie Theater», un événement organisé par Ian White dans le cadre du 60e Festival international du film de Berlin. Il s’agit d’une tentative d’enrichir notre compréhension des «déclarations d’indépendance» et de leur nécessité vis-à-vis des nouvelles relations possibles avec les dispositifs intelligents et les machines génératrices d’images qu’on nous invite à utiliser «gratuitement» pour communiquer. Je fais référence à l’idée de vita activa formulée par Hannah Arendt et au concept de «Contrat social de l’Homme et de la Femme» formulé par Olympe de Gouges en 1789.1
Préambule
I
Une situation urgente survient à travers l’évolution de mon corps et de mon esprit vis-à-vis de l’utilisation des instruments—plus particulièrement de la machine de traitement de données électroniques—, qui me pousse, dans la droite lignée de révolutions antérieures, à ressusciter socialement la philosophie de l’émancipation.
II
Il est parfaitement établi que mes positions impliquent une question de nature politique; elles ne sauraient par conséquent être confiées aux experts modernes—scientifiques professionnels, spécialistes de l’écran tactile, concepteurs du Web ou politiciens de métier. Non, la question soulevée dans mon corps et mon esprit, la question qui me pousse à agir vaillamment affecte entièrement la liberté et l’intégrité de notre futur social!
III
Il est aujourd’hui évident que les outils humains de perception et de production n’entretiennent plus de relations entre eux.
IV
Il en résulte que nous sommes capables de produire plus que ce que nous ne percevons et en effet plus que ce que nous sommes capables de percevoir.
V
Nous sommes par conséquent devenus des esclaves—non pas de nos propres machines, comme on aurait généralement tendance à le croire, mais de nos outils de perception. Nous sommes à la merci de tous les nouveaux instruments.
VI
À la merci de tous les nouveaux instruments, nous sommes capables de produire quelque chose—aussi étrange que soit l’apparence de cet instrument, aussi meurtrier que soit le langage qu’il parle, aussi impénétrables que sont les voies qui nous contraignent par ailleurs à le toucher.
VII
Comme il n’est plus possible de se soustraire à cette situation répressive, étant donné qu’elle détient désormais l’entièreté de notre corps collectif, levons-nous à présent pour déclarer un serment:
Contrat entre les hommes et l’ordinateur
Par le présent acte, dès à présent et à compter d’aujourd’hui, nous déclarons qu’aucun instrument ou machine de traitement de données électroniques n’empêchera plus l’humanité de compléter ou d’être capable de compléter, dans la liberté, dans la pensée, et de manière autonome, les choses qu’elle réalise et les relations qu’elle crée. Nous promulguons l’application des principes suivants:
NOUS NE SAVONS RIEN
TU NE SAIS RIEN
JE NE SAIS RIEN
DE L’AMOUR
MAIS
NOUS NE SOMMES RIEN
OHO
TU N’ES RIEN
OHO
JE NE SUIS RIEN
OHO
SANS L’AMOUR2
Berlin, février 2010
-
Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, trad. de l’anglais par G. Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1994 [1958], p.41-53; Olympe de Gouges, L’Esprit françois, ou Problème à résoudre sur le labyrinthe des divers complots, Paris, Chez la veuve Duchesne, 1792, p.12. ↩
-
The Magnetic Fields, «The Death of Ferdinand de Saussure», tiré de l’album 69 Love Songs, 1999. ↩
Published on <o> future <o>, April 15, 2016.
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- CC BY-ND 4.0
Ce texte fait partie de Les Protagonistes un ensemble de traductions et de textes publiés par François Aubart en parallèle de deux projets: le cycle de discussions Laissez-vous séduire par le sex appeal de l’inorganique du 26 septembre 2015 au 25 février 2016 au centre d'art Passerelle à Brest et l'exposition De toi à la surface, du 21 janvier au 10 avril 2016 au Plateau, Frac Île-de-France à Paris. An english version of this text can be found on e-flux.com.