pour l'amour
Frank murmurait
au creux d'enveloppes
au lieu
d'écrire
des lettres
CAConrad, The Book of Frank
En 1966, Samuel R. Delany, alors âgé de 24 ans, publie son roman Babel-17, livre considéré avec The Einstein Intersection, écrit une année plus tard, comme un des romans qui vont asseoir un style et formuler une série de questions qui se développeront dans l’ensemble de son œuvre. L’intrigue du roman se déploie autour de la figure de Rydra Wong, poète, linguiste et télépathe qui sauve le monde d’une guerre interstellaire en déchiffrant un langage assez puissant pour être utilisé comme arme. En s’attelant à ce sujet, Delany s’attaque certes à un des grands thèmes des romans et des films de guerre et d’espionnage qui foisonnent au cours de la Guerre Froide, mais il l’insère dans le domaine de la science-fiction en attribuant à ce langage le pouvoir de transformer en traîtres aussi bien les humains que les machines. Développée par les adversaires du monde auquel appartient Rydra Wong, cette forme artificielle de communication est transmise par onde pour les machines ou de manière télépathique pour les humains. En choisissant de cibler autant les machines que les hommes, Babel-17 pénètre et cherche à détruire une société où Delany, entre autres rapports sociaux, propose que les hommes et les femmes forment des triangles amoureux afin qu’un vaisseau puisse fonctionner. Le monde décrit par l’auteur comporte en effet une grande part d’affectivité dans le maniement des machines et un dialogue constant entre des catégories de langage habituellement bien séparées, catégories que l’on cherche encore de nos jours à faire cohabiter: les langages verbaux, corporels, affectifs et techniques. Ajouter que cet exemple de triolisme implique une femme récemment ressuscitée comme c’est le cas pour l’une des pilotes sous le commandement de Rydra Wong, finit de marquer que la communication humaine, non vivante et technique joue dans le livre de Delany un rôle important de médiation entre des êtres et des entités hétérogènes, puisqu’elle est y permise, encouragée et constamment débattue.
Plus précisément, si le langage ainsi créé par un des belligérants est dangereux, c’est qu’il a été conçu sans les pronoms «je» et «tu», donc sans éléments constitutifs de subjectivité.1 Nous nous trouvons face à une projection linguistique futuriste à laquelle manquent les éléments essentiels de définition du locuteur et du récepteur, ou qui en tout cas travaillerait à l’assimilation de l’un à l’autre. Ceci a pour effet qu’au fur et à mesure de son décodage de Babel-17, l’identité et la volonté de Rydra Wong se confondent graduellement avec celles des émetteurs du message. Si la possibilité même de l’existence d’une telle langue reste à poser (comment en effet envisager une langue sans pronom personnel?), confiant dans la fiction proposée par Samuel R. Delany, celle-là même qui le conduit à ne jamais présenter en détail ce langage, nous noterons surtout que l’auteur semble user d’un ensemble de motifs linguistiques archaïques établissant les conditions de l’adresse, de l’émanation d’un discours à partir d’un objet que l’on souhaite faire parler.2
Il existait en effet dans la Grèce antique des objets que les archéologues, historiens et linguistes ont qualifiés de parlants, des objets sur lesquels avaient été inscrites des phrases leur donnant voix 3. Ainsi, sur une épée était-il inscrit «Je coupe», sur des objets funéraires ou votifs était-il gravé ou peint «J’appartiens à Apollon», «Charophnes m’a dédié à Apollon» ou «J’ai été donné par…». Une des interprétations admises de tels objets est que les phrases ou les épigrammes inscrites sont les traces de performances orales liées aux rites funéraires.4 L’objet est un substitut du donateur afin que ce dernier puisse parler continuellement à Dieu. Le «je» est conçu comme une énonciation autonome que prononce l’objet. Toutefois, pour les langues archaïques, et en particulier le grec, les «je» inscrits ne semblent pas se référer à une seule instance d’énonciation (celle du donateur), mais à plusieurs, c’est-à-dire autant à celle du donateur qu’à celles des futurs lecteurs et à l’objet lui-même. C’est en ce sens que Jesper Svenbro, entre autres, en a fait un élément purement littéraire et presque fictionnel. «On s’imagine difficilement, écrit-il, la situation où quelqu’un aurait prononcé l’une de ces phrases en pensant à lui-même. Bien au contraire. Ces énoncés sont en quelque sorte propres à l’écriture.»5 En considérant que ces phrases dédicatoires devaient être lues à haute voix, puisque la pratique courante de la lecture silencieuse ne se développera que plus tardivement, une telle interprétation nous conduit à envisager que lors de leur énonciation, l’émetteur du son n’est pas celui de la structure verbale signifiante. Émile Benveniste écrit d’ailleurs que «les indicateurs je et tu […] n’existent qu’en tant qu’ils sont actualisés dans l’instance de discours, où ils marquent par chacune de leurs propres instances le procès d’appropriation par le locuteur».6 Inversement au premier mouvement selon lequel l’objet parle pour le donateur, lors de la lecture à voix haute, c’est le corps humain qui prête sa voix à l’objet, afin que ce dernier s’adresse continuellement au dieu auquel il a été dédié.
Si d’autres implications religieuses, sociales et psychologiques doivent bien sûr être prises en compte, nous nous arrêterons ici pour appuyer le fait que ces deux exemples, Delany et les «objets parlants», malgré leurs différences fondamentales, permettent d’établir un pont entre deux pratiques historiquement éloignées mais sujettes à une interrogation à laquelle nous sommes toujours aujourd’hui confrontés. S’ouvre en effet à leur suite un panel de questions s’organisant autour de l’émanation, de l’adresse et de la réception d’une énonciation, orale ou écrite, à travers des outils, parfois techniques, mais aussi, plus largement, à travers tous types d’objets supposément inertes auxquels on attribue une voix. Questions qui ont jalonné toute la modernité technique et artistique et d’où inévitablement affleure l’interrogation de la place du et des sujet(s) (émetteurs et récepteurs) dans un jeu constant sur la détermination des implications des énonciations verbales, scripturales et vocales, produites dans le champ artistique.
⁂
Afin de développer l’arc littéraire et linguistique initié par la comparaison entre Delany et les objets funéraires parlants, nous suivrons les mots de Lisa Robertson à propos de Mallarmé dans son texte sur le travail visuel et poétique de Karl Larsson: «Mallarmé composa des tombeaux pour son fils décédé Anatole et pour Wagner, ainsi que pour Poe, Baudelaire et Verlaine, écrivains qu’il considérait comme ses plus proches alliés spirituels. Bien que son origine classique soit liée aux anciennes épitaphes gravées, le tombeau est un poème qui ne se rapporte pas à l’histoire d’une forme littéraire, mais à une intensité d’adresse.»7
La tension décrite par Lisa Robertson paraît bien être à l’œuvre dans plusieurs textes du poète, une tension toute moderniste qui nous semble être au cœur de la réflexion mallarméenne: celle de cette intense adresse privée et littéraire transitant par un espace public et collectif de réception, celui de sa publication, c'est-à-dire en suivant l’exploration d’un large éventail de possibilités de mise à disposition au public. Au sein de cette constellation de relations peuvent se situer les tentatives de Mallarmé de trouver un espace public d’adresse non concerné par la marchandisation littéraire comme il le fait dans «Hérésies artistiques. L’art pour tous»8 ou «Étalage»,9 ou comme celui plus restreint constamment interrogé dans son projet non aboutit de Livre. L’écriture et la mise en forme de ce dernier sont en effet tout aussi calculées que sa double diffusion, c’est-à-dire éditée en nombre limité et performée lors de lectures très précisément orchestrées.10 La constellation d’adresses issue de l’ensemble des différentes formes expérimentées par l’auteur dépend des circonstances d’où les textes émanent en vue d’une réception par un lecteur dont Mallarmé a travaillé la définition tout autant que sa propre écriture, si ce n’est en même temps.
Si les bien nommés Poèmes de circonstance11 de Mallarmé sont par leur dénomination rangés dans une catégorie qui serait autre que celle des vers et des poèmes usuels, ils ont cependant cet avantage d’être entièrement déterminés par la circonstance, ou du moins par une circonstance différente du reste de ses écrits, spécifiques à une condition d’écriture, de transmission et de réception déterminée. Par ce titre, Mallarmé insiste sur une spécificité de ces textes qui jouent sur la signification des étapes de la vie du poème.

Stéphane Mallarmé, Éventail de Geneviève Mallarmé, © Collection de Mme E. Bonniot 12
Plus précisément, les Poèmes de circonstance sont écrits à l’occasion d’un envoi, d’un don ou d’un cadeau, de la transmission d’un objet, et ceci dans ce qui semble être une diffusion de ces courts textes en dehors d’une fonction et d’un lieu privilégiés pour l'élaboration d'une poétique commune. Ici, le public est des plus réduit, c’est une communication directe entre deux personnes, et les objets sont tout sauf des livres imprimés, mis à part les dédicaces manuscrites sur quelques exemplaires du Faune, ou autres albums. Les Poèmes de circonstance agissent en tout cas pour la plupart dans un cadre de destination privé. Les objets sont dédiés à telle ou telle personne, parfois nominativement et ne sont pas censés rencontrer d’autre public. Excepté, peut-être, cette étonnante inscription sur un panneau communal désaffecté qui déjà nous contredit, «Salut ô passant qui te fiches / de lire en été les affiches!», mais qui en même temps nous rapproche des passants qui, dans l’espace public de l'Antiquité, lisaient les inscriptions sur les statues et les monuments parlants.
Dans l’introduction d’une des premières éditions de ces textes nous apprenons que «l’auteur […] espéra [les poèmes] perdus».13 Si cette espérance est à minimiser puisque Mallarmé les consignait soigneusement dans des carnets, nous retiendrons cet opérant cadre fictionnel d’un ailleurs où les mots sont envoyés, possiblement perdus pour l’auteur, réceptionnés par le destinataire et confisqués au devenir public. En ce sens, le poème agit bien dans un cadre matériel d’échange direct d’émetteur à récepteur, mais le texte inscrit porte en lui l’espoir qu’il ne reviendra pas à l’auteur, ni même ne pourra être retrouvé. Il pourrait donc sans doute n’avoir jamais existé en dehors de ce geste et de cette occasion.
Voici donc pour la circonstance, pour le site fictionnel de l’apparition du texte poétique.14 Toutefois, plus précisément, les poèmes écrits sur les éventails travaillent une forme spécifique d’adresse du poème et un possible «pouvoir» de l’écriture, une «intensité», qui, si elle est de circonstance, semble perdre sa matérialité ou montrer que si l’on peut avoir l’espoir que le texte ou l’objet se perde, c’est aussi parce que le texte peut de lui-même sortir de la page, se désolidariser de l’objet:
Aile quels paradis élire
Si je cesse ou me prolonge au
Toucher de votre pur délire
Madame Madier de Montjau15
Jadis frôlant avec émoi
Ton dos de licorne ou de fée,
Aile ancienne, donne-moi
L’horizon dans une bouffée.16
Plus que les poèmes, c’est l’objet même, sa fonction et la poétique qui lui est attachée, qui émet l’idée que quelque message se diffuse par les airs. En agitant l’éventail, le poème s’évapore dans l’air pour atteindre son destinataire. Mais si nous sommes ici dans une imagerie somme toute commune, la figure de l’éventail prend toute sa complexité dans deux autres poèmes que Mallarmé lui a consacrés. En voici les premières lignes:
Éventail
de Madame Mallarmé
Avec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis précieux
[…]17
Autre Éventail
de Mademoiselle Mallarmé
[…]
Vertige! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser
[…]18
Dans le premier, nous reconnaissons quelque chose proche de ce que l’auteur propose au tout début du «Livre, instrument spirituel»:
Sur un banc de jardin, où telle publication neuve, je me réjouis si l’air, en passant, entr’ouvre et au hasard, anime, d’aspects, l’extérieur du livre: plusieurs—à qui, tant l’aperçu jaillit, personne depuis qu’on lut, peut-être n’a pensé. Occasion de le faire, quand, libéré, le journal domine, le mien, même, que j’écartai, s’envole près de roses, jaloux de couvrir leur ardent et orgueilleux conciliabule: développé parmi le massif, je laisserai, aussi les paroles fleurs à leur mutisme, et, techniquement, propose, de noter comment ce lambeau diffère du livre, lui suprême.19
Avec ce paragraphe marquant l’ouverture de la discussion sur les différences entre le livre («lui suprême») et la presse, la poésie et le journalisme, Mallarmé nous offre les images d’un journal qui s’envole et d’un livre dont le vent ouvre les pages, images figurant une communication indéterminée. L’espace de réception reste certes à définir, mais il est déjà proposé comme étant ouvert à «plusieurs». Quant au second poème écrit et publié en 1884 dans La Revue Critique, il est quelque peu différent. La fonction poétique de l’éventail dans la définition d’un mode de diffusion de la pensée est d’ailleurs complexifiée puisque par un jeu homophonique, Mallarmé en déplace la signification lors de sa republication dans Le Décadent en 1886 avec cette même strophe modifiée:
Vaste jeu! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui fier de n’être pour personne
Ne sait jaillir ni s’apaiser20
Si à la première lecture le «naître» de la version de 1884 paraissait déjà ambiguë et jouer sur l’homophonie entre «naître» et «n’être», la modification dans la seconde version précise une complexité sonore et signifiante qui densifie la question d’une possible transmission d’un message poétique par l’intermédiaire d’un objet. Le message diffusé par l’éventail ne peut naître pour personne, ni pour le poète ni pour le destinataire. Sur ce point de la pensée de l’auteur, on rejoindra Jacques Rancière qui écrit dans sa Politique de la sirène que pour Mallarmé «le blanc de la page n’est pas seulement le matériel du poème ou l’allégorie de son obligation. Il appartient au mouvement et à la texture du poème. La surface d’écriture est le lieu d’un avoir lieu. Le blanc qui achève le poème est le retour au silence d’où il est sorti, mais ce n’est plus le même blanc, ni le même silence.»21 L’espace de la transmission poétique se fait selon Mallarmé dans celui de la page où le texte naît pour se fixer. Tout autre est un message «fier de n’être pour personne» puisqu’il s’agit d’un message dont l’objet même est de n’être pour personne et donc prêt à être diffusé dans les airs par tout manipulateur de l’objet, bien qu’adressé autant à personne en particulier qu’à chacun des éventuels passants capables d’en traduire la vibration. Ici l’adresse mallarméenne rejoint assez clairement la proposition de la communication artistique dans la réponse de Mallarmé à Tolstoï, l’œuvre d’art moderne ne s’adressant pas à tout le monde mais «à qui veut», comme l’a relevé Jean-François Chevrier:
À qui veut met en avant le sujet indéterminé. Mais le risque de la formule est d’entériner le statu quo social. En 1898, le républicanisme de Mallarmé s’accompagne d’un refus de l’idée sociale (et du socialisme). Privilégier, comme il le fait, la relation intersubjective établie par l’œuvre revient à rattacher l’art moderne—dont Tolstoï rejette systématiquement les jalons récents—à l’idée libérale. Le public moderne ne se définit plus autrement que par un lien d’expérience librement choisi.22
Jean-François Chevrier rejoint en cela le développement de Lisa Robertson, à ceci près que l’auteure associe à cette vision politique de l’adresse une dimension économique ainsi qu’une forme d’«étrange» matérialité au «médium non-substantiel du discours», la voix, qui se diffuserait dans «l’agora—[…] l’ancien lieu de la subjectivité collective—une condition spatiale pour produire et partager, où l’échange est multidirectionnel, non limité, et où le langage n’est pas contenu comme une marchandise, mais ouvert à une marchandisation de la signification collective et du renouveau linguistique non contenu».23
Les poèmes de Mallarmé précédemment cités semblent chercher à atteindre ce même espace, mais relèvent aussi de par leur champ lexical d’un espace qui frissonne, attribuant ainsi une nouvelle couche à la représentation de ce médium non-substantiel. L’image renvoie alors d’abord à celle, contemporaine, de la recherche de la diffusion du langage par ondes, Mallarmé empruntant ici une image technique, celle de la captation des ondes sonores permettant leur fixation sur des supports matériels ou leur diffusion par ondes radio. Toutefois, et ce sans nous plonger dans l’histoire des techniques et de leur rapport au surnaturel,24 il nous semble plus juste de rapprocher le mode d’adresse des poèmes de circonstance de Mallarmé à cette longue histoire littéraire des dédicaces et des objets parlants, une histoire plus scripturale que vocale, mais dont la force de l’adresse réside dans son émanation à partir d’objets inertes qui, par l’écriture et une opération de transfert linguistique, prennent vie et définissent des communautés plus ou moins individualisées de récepteurs-lecteurs.
⁂
Cette forme d’adresse mallarméenne trouvera une circonscription symptomatiquement dépolitisée dans une des œuvres d’un autre tenant du modernisme, le Ready-made malheureux que Marcel Duchamp réalise en 1919. Lui aussi objet parlant à sa manière, il semble être l’image même d’une marionnette que l’on manipulerait et dont on laisserait se diffuser la parole dans un public diffus et sans forme. Mais seulement à première vue puisque la forme d’adresse que propose ici Duchamp semble être esthétisée en travaillant une réceptivité fortement désengagée de la pensée de l’écriture fin-de-siècle de Mallarmé, mais profondément ancrée dans le processus de circonscription de la réceptivité de ses objets artistiques.

Marcel Duchamp, Ready-made malheureux, photographie, 1919-1920
Aux yeux du public, c’est une photographie prise par Suzanne Duchamp, un tableau qu’elle réalise ensuite à partir de cette même photographie, mais positionnée à l’envers, et la reproduction de la photographie avec l’ajout de schémas géométriques de la main de Duchamp dans la Boîte-en-valise (1934-1941).25 Les gris et les noirs de la photographie initiale sont de si mauvaise qualité qu’il est difficile de saisir qu’il s’agit d’un livre déposé sur un balcon dont les pages sont laissées au bon vouloir des intempéries. Robert Lebel décrit ainsi les circonstances de réalisation de l’œuvre:
À New York, dès 1915, Marcel avait rencontré Jean Crotti qui arrivait d’Europe avec Yvonne, sa première femme. […] En 1916, il reparut à Paris, porteur de messages que Marcel avait confiés pour sa famille, notamment pour Suzanne, alors infirmière dans un hôpital militaire. On connaît le résultat de leur entrevue: Crotti repartit pour New York, où il devait divorcer et d’où il écrivit à Suzanne une suite de lettres d’amour de style Dada. Le mariage eut lieu à Paris en avril 1919 et, de Buenos Aires, Marcel fit parvenir à Suzanne des instructions relatives à un précis de géométrie qu’elle devait attacher sur son balcon de la rue La Condamine, en laissant au vent le soin de compulser le livre, de choisir les problèmes, de les exposer à la pluie et d’effeuiller les pages comme les pétales d’une marguerite. Ainsi succomba le Ready-made malheureux, perpétué malgré tout par une toile de Suzanne Duchamp.26
Si transfert linguistique il y a dans les éventails de Mallarmé, ce ready-made prend d’abord pour nous toute son importance parce qu’il a ceci de particulier par rapport à la typologie des ready-mades (assistés, aidés, réciproques, etc.) évoquant le processus créatif, qu’il traduit un sentiment, transfert linguistique procédant d’un autre ordre d’opération. Déjà, dans les notes de la Boîte verte, il était possible de trouver des propositions telles que «Faire un tableau de hasard heureux ou malheureux (veine ou déveine)»27 ou «Faire un tableau malade ou un Readymade malade».28 Peut-être s’agit-il pour la seconde d’une allusion à Pharmacie (1914). Néanmoins, si l’idée est de faire prendre froid au précis de géométrie afin qu’il devienne malade, la temporalité du dispositif y contribuera grandement puisqu’il resta sur le balcon à partir de sa création au printemps 1919 jusqu’au déménagement du couple à l’automne 1920. Duchamp leur écrira par ailleurs qu’il a «aimé la photo du Ready-made qui s’ennuie sur le balcon»,29 ce qui continue d’indiquer une certaine volonté de martyriser son ready-made, puni pour quelque raison à rester sur le balcon et forcé d’être compulsé par les éléments naturels.
Tout ceci semble déjà répondre à l’une des premières impressions lorsque le regard se pose sur l’œuvre, à savoir, pourquoi, ou en quoi, ce ready-made est malheureux. En raison du mariage de Crotti avec la sœur de l’artiste avec qui l’on a supposé une relation incestueuse?30 En raison de la perte du célibat qui aurait été célébré par un Duchamp libertin?31 La réponse est sans doute plus à trouver dans l’objet lui-même puisque sa destinée est de rester ligoté sur un balcon jusqu’à son pourrissement. Notons que si l’on peut déjà lui prêter une destinée et de telles préoccupations, c’est qu’au-delà du seul acte de nomination de l’objet livre au rang de ready-made marquant déjà une première appropriation linguistique de l’objet,32 Duchamp lui attribue certes un nom (la catégorie sociale d’objet artistique nommé ready-made), mais lui appose aussi un caractère par «adjectivation».33 En le dotant d’un sentiment, Duchamp crée un personnage.
Une fois personnifié, ce ready-made a toutes les raisons d’être malheureux puisqu’il n’a jamais été vu, n’a jamais été perçu en lui-même en tant que ready-made, c’est-à-dire perçu à travers l’objet et la situation mêmes qui le constituent. Mais aussi parce qu’il n’a jamais pu choisir son adresse spécifique. On la lui a imposée, on en a modifié la compréhension et la circonscription par les différents récits visuels qui en ont été faits.
Afin de saisir les implications d’une telle opération de détournement physique et linguistique chez Duchamp, il semble que nous puissions rapprocher notre malheureux ready-made de ceux qui ont aussi d’abord eu une existence privée, les Sculpture de voyage (1918) ou autre Porte chapeau (1917). Ils ont en effet en commun avec le Ready-made malheureux d’avoir eu une existence photographique et d’avoir eux aussi été accrochés, suspendus au plafond de l’atelier de l’artiste, à la merci des variations de lumière, projetant leurs ombres sur les murs. Ces œuvres, tout comme la plus tardive 16 Miles of String (1942), se déploient dans l’espace, à l’image de l’ombre portée «qui devient l’instrument de mesure et d’agencement des œuvres entre elles». Comme pour les ombres de Tu m’ (1918), c’est leur trace qui importe, illustration parfaite du prolongement de la note de Duchamp: «Prendre ces ‹devenus› et en faire un relevé sur calque sans changer naturellement leur position l’un par rapport à l’autre dans la projection initiale.»34 En lien ou non avec ses recherches sur la géométrie non-euclidienne, sur les projections ou sur les rayonnements, l’ensemble du vocabulaire linguistique et formel qui se déploie ici est celui de la conquête d’une 4e dimension et de la possible radiation d’un objet dans l’espace, une dimension autre que la fixité tridimensionnelle des objets.
Le Ready-made malheureux contient en lui cette même idée essentielle, celle de sa possible expansion, où en tout cas l’expression d’une métaphore de la projection du discours que le livre contient dans un espace indéterminable car non circonscrit, ou procédant par démultiplication. Ainsi trouve-t-on par exemple cette note dans la Boîte verte:
Adresse
Du plus ou moins loin; sur un but. Ce but est en somme une correspondance du point de fuite (en perspective.) La figure obtenue sera la projection (d’adresse) des principaux points d’un corps 3 dimsl. Par le maximum d’adresse, cette projection se réduirait à un seul point (le but).
Par une adresse ordinaire cette projection sera une démultiplication du but.35
Cette note concernant directement ses recherches mathématiques sur un des éléments picturaux de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, propose un jeu sémantique sur les différentes significations d’adresse: celle dont il faut faire preuve pour tirer sur une cible, celle qu’on écrit sur une lettre mais aussi celle de la destination de l’œuvre. Si l’on observe en détail l’ensemble des instances du Ready-made malheureux, une forme de «démultiplication du but» est bien à l’œuvre. À chaque fois, l’objet, le livre laissé à l’air libre, est le même, mais reconfiguré en fonction de l’adresse d’une œuvre nouvelle. Ici, la fameuse définition des quatre conditions de «l’existence de l’art», de l’énonciation artistique de Thierry De Duve (un objet, un auteur, un public et une institution), nous permet assez précisément de marquer les relations spécifiques qui se jouent entre œuvre et spectateur.36 Sans cesse réévaluées par la multiplication des reproductions de l’œuvre par Duchamp, elles possèdent chacune une précise circonscription.
L’objet est un livre, un livre qu’on ne demande pas de lire et qui n’est pas un livre spécifique, bien que le fait qu’il concerne la géométrie soit ce qui le définit. Il y a un auteur, Duchamp d’abord, mais aussi sa sœur qui, par délégation, choisit un des livres possibles en fonction de la proposition épistolaire de l’artiste. Et une institution prête à enregistrer cet objet qui change à chaque occurrence, d’abord la photographie, puis le tableau de Suzanne, et ensuite la réplique, elle-même modifiée, de la Boîte verte. La destination change elle aussi à chacune des occurrences: Suzanne (et Jean Crotti) pour l’objet initial, Duchamp pour la première photographie, les spectateurs du tableau de Suzanne, le public de la Boîte-en-valise. Toutefois, réside ce problème essentiel, au-delà du cercle privé, il s’agit là des publics destinataires des reproductions du ready-made, des «devenus», c’est-à-dire des instances de reconnaissance de son existence, et non du ready-made en lui-même.
Ces catégorisations répondent en effet d’abord à qui s’adressent les différentes reproductions d’«institutionnalisation», non pas à qui s’adresse ce malheureux livre soumis aux intempéries. Au vent comme le propose lui-même Duchamp? Ceci en ferait alors un objet démonstratif et quelque peu transparent de la confrontation de l’art et de la science à la vie. Sans doute faut-il prendre le problème à l’envers et commencer par le point de départ: comment un livre peut-il de lui-même s’adresser à un public quel qu’il soit, même s’il s’agit de l’espace de l’agora mallarméenne, républicaine et intersubjective? Si nous ne pouvons définir précisément quelle est l’adresse et quel est le public du Ready-made malheureux, nous pouvons nous demander comment. Comment en tant qu’usager des objets-livres, nous sommes supposés le recevoir et «lire»? Car si l’opération nominale de Duchamp est bien de le soumettre aux éléments naturels, il s’agit aussi d’un changement radical de lectorat.
Une proposition qu’on trouvera chez Paul Ricœur permettra d’observer des rapports finalement simples entre adresse et réception. Selon lui, un livre est un objet de médiation entre les «mondes» de l’auteur, du texte et du lecteur, médiation constituée d’une série de constructions et de reconstructions du discours, quelque chose qui est de l’ordre de la transformation de sens à chacun des moments de sa chaîne de production (l’élaboration de la pensée, la formulation écrite, la mise en forme éditoriale, la lecture et la réception cognitive). Mais il y a quelque chose qui devient particulièrement intéressant pour nous lorsque Ricœur s’interroge non pas sur comment nous lisons, mais sur ce que suppose le fait qu’il y ait médiation de la lecture. Il écrit alors:
Nous pouvons dire […] que le monde du texte marqu[e] l’ouverture du texte sur son «dehors», sur son «autre», dans la mesure où le monde du texte constitue par rapport à la structure «interne» du texte une visée intentionnelle absolument originale. […] Son statut ontologique reste en suspens: en excès par rapport à la structure, en attente de lecture. C’est seulement dans la lecture que le dynamisme de la configuration achève son parcours. Et c’est au-delà de la lecture, dans l’action effective, instruite par les œuvres reçues, que la configuration du texte se transmute en reconfiguration. […] La signifiance de l’œuvre de fiction procède de cette intersection.37
En accordant ainsi une vie propre au texte et au livre, le Ready-made malheureux serait la manifestation d’une potentialité, une potentialité d’expression et d’adresse d’un discours géométrique. Le ready-made, ou plutôt le livre lui-même, est en attente de l’au-delà de sa condition. Il est malheureux du fait d’être conscient de sa condition médiane de suspension, un simple support à l’excès. Le Ready-made malheureux semble en effet malheureux du fait qu’il n’a pas de public, qu’il manque à son rôle d’intersection médiane entre deux des mondes de sa sociologie. Il marque pour ainsi dire un positionnement ultérieur dans la problématisation moderniste de la réceptivité telle qu’initiée par l’écriture mallarméenne. C’est-à-dire que si cette dernière prend en charge la potentialité de son émancipation du support en vue d’une réception intersubjective et basée sur l’engagement volontaire du lecteur, la réceptivité proposée par Duchamp intègre ces mêmes engagements, mais propose en même temps que celle-ci puisse être entièrement perdue et ne résider que dans la trace de sa potentialité. Le livre de géométrie manque à son rôle initial. Les répliques et images du Ready-made malheureux fonctionnent comme des images souvenirs du ready-made défunt, disparu du fait qu’on ait exploité, pour lui, la potentialité de sa condition. On l’a obligé à s’exposer, le ficelant de manière à ce que, sans attendre le procès de sa reconnaissance par la lecture, son excès se propage de lui-même dans l’espace physique que parcourent et parcourront les éléments naturels.
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Voir la section V, «L’homme dans la langue» des Problèmes de linguistique générale I (Paris, Gallimard, 1966) de Émile Benveniste, et en particulier l’article «La nature des pronoms» (1956) dans lequel nous pouvons trouver ce passage: «On a traité trop légèrement et comme allant de soi la référence au ‹sujet parlant› implicite à tout ce groupe d’expressions. On dépouille de sa signification propre cette référence si l’on ne discerne pas le trait par où elle se distingue des autres signes linguistiques. C’est pourtant un fait à la fois original et fondamental que ces formes ‹pronominales› ne renvoient pas à la ‹réalité› ni à des positions ‹objectives› dans l’espace et dans le temps, mais à l’énonciation, chaque fois unique, qui les contient, et réfléchissent ainsi leur propre emploi.» (p.254) ↩
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Le langage créé par Delany est selon lui basé sur ses lectures de Mario Pei et la langue que lui et Marilyn Hacker avaient inventée lors de leur voyage vers Detroit où ils allaient se marier, Rydra Wong étant par ailleurs un portrait romancé de sa femme. Cf. Samuel R. Delany, The Motion of Light in Water: Sex and Science Fiction Writing in the East Village, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2004, p.23, 413 et 442. ↩
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Notons que la Grèce est une des étapes du chemin que suit Delany de Babel 17 à L’Intersection Einstein, dans les thèmes littéraires tout autant que physiquement, comme le montre le journal de voyage de l’auteur qui entrecoupe le récit de L’intersection Einstein (Venise, golf de Corinthe, Athènes, Mykonos, puis Istanbul durant l’automne et hiver 1965-1966). ↩
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Cette pratique d’écriture sur objet est courante et plus large que cette seule catégorie d’objets. On la retrouve en Europe occidentale jusqu’au XIe siècle. Pour des exemples tardifs voir Paul Zumthor, La Lettre et la voix. De la littérature médiévale, Paris, Seuil, 1987, p.126. ↩
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Jesper Svenbro, Phrasikleia: Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1988, p.37. ↩
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Émile Benveniste, art. cit., p.255. ↩
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Lisa Robertson, «Songbody», in Bettina Steinbrügge (dir.), Karl Larsson. Strange, Milan, Mousse Publishing, 2014, p.167-168. ↩
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Stéphane Mallarmé, «Hérésies artistiques. L’art pour tous», in Œuvres Complètes. T.2, Paris, Gallimard, 2003, p.360-364. ↩
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Ibid., «Étalage», op. cit., p.218-223. ↩
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Ibid., «Notes en vue du ‹Livre›», in Œuvres Complètes. T.1, Paris, Gallimard, 1998, p.945-1060. Pour saisir l'ensemble des implications des recherches de Mallarmé sur les différentes adresses possibles de ses textes, le lecteur peut se reporter, entre autres, aux ouvrages de Jacques Scherer (Le «Livre» de Mallarmé [1957], Paris, Gallimard, 1978) et de Patrick Besnier (Mallarmé, le théâtre de la rue de Rome, Paris, Éditions du limon, 1998). ↩
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Sous ce titre Mallarmé regroupe des quatrains formant les adresses des destinataires de plis—Les Loisirs de la poste—ou des écrits inscrits ou brodés sur des éventails, des pommes glacées, filets à poissons ou des mouchoirs, etc. Ibid., Vers de Circonstance, in Œuvres Complètes. T.1., p.237-362. ↩
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Image tirée de Mallarmé. Documents iconographiques, Introduction de Henri de Mondor, Vésenaz—Genève, Pierre Cailler Éditeur, 1947, pl.LXXXIV. ↩
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Ibid., Vers de Circonstance, op. cit., p.245. ↩
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Cette expression est empruntée à Jacques Rancière qui, dans «La danse de lumière», texte issu de son Aisthesis, Scènes du régime esthétique de l’art (Paris, Galilée, 2011), écrit à propos du texte «Considérations sur l’art du ballet et la Loïe Fuller» de Mallarmé (1893) que: «Cette esthétique nouvelle, Mallarmé entreprend de la formuler à son tour autour de trois notions: figure, site et fiction. La figure est la puissance qui isole un site et construit ce site comme un lieu propre à supporter des apparitions, leurs métamorphoses et leur évanouissement. La fiction est le déploiement réglé de ces apparitions.» (p.120) ↩
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Stéphane Mallarmé, Vers de Circonstance, op. cit., p. 273 ↩
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Idem. ↩
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Ibid., p.30. ↩
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Ibid., p.31. ↩
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Stéphane Mallarmé, «Livre, instrument spirituel», Œuvres Complètes. T.2, Paris, Gallimard, 2003, p.224. ↩
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En italique, nous soulignons les modifications de la précédente publication. ↩
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Jacques Rancière, La Politique de la sirène, Paris, Fayard, 2012, p.79. ↩
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Jean-François Chevrier, Œuvre et activité. La question de l’art, Paris, L’arachnéen, 2015, p.17. ↩
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Lisa Robertson, art.cit., p.177-178. ↩
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Voir par exemple, Thomas A. Edison, Le Royaume de l’au-delà, Paris, Éditions Jérôme Million, 2015; et le catalogue de l’exposition Cosa Mentale au Centre Pompidou-Metz: Pascal Rousseau, Cosa Mentale, Art et Télépathie au XXe, Paris—Metz, Centre Pompidou-Metz—Gallimard, 2015. ↩
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David Joselit «Dada’s Diagrams», in Leah Dickerman, Matthew S. Witkovsky (dir.), The Dada Seminars, Washington—New York, The National Gallery of Art—D.A.P., 2005, p.221-239. ↩
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Robert Lebel, Sur Duchamp (1959), Genève, Mamco, 2015, p.45. ↩
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Marcel Duchamp, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1994, p.36. ↩
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Ibid., p.49. ↩
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Lettre de Marcel Duchamp au couple datée du 20 octobre 1920, publiée dans Francis M. Naumann, «Affectueusement, Marcel: Ten Letters from Marcel Duchamp to Suzanne Duchamp and Jean Crotti», Archives of American Art Journal, vol.22, №4, 1982, p.14. ↩
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Des rapports incestueux avec l’une ou l’autre de ses sœurs ont été attribués à Duchamp par plusieurs auteurs (Ulfe Linde ou Thierry De Duve pour ne citer qu’eux) au point de devenir comme beaucoup d’analyses des clichés de l’interprétation des œuvres de l’artiste. ↩
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Voir Bernard Marcadé, Marcel Duchamp, Paris, Flammarion, 2007. ↩
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Voir à ce sujet la lecture faite par Catherine Perret dans le chapitre «Titre, inscription, projet» in Les Porteurs d’ombre. Mimésis et modernité, Paris, Belin, 2001, p.147-223. ↩
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Sans doute est-il utile de rappeler que l’«adjectivation» fait partie de la liste des signes-étalons devant, selon l’artiste, modifier les formes grammaticales. Cf. Marcel Duchamp, op. cit., p.48. ↩
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Ibid, p.50. ↩
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Ibid, p.54. ↩
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«Il y a des conditions pour l’existence de l’art dans une formation culturelle donnée, et de ces conditions, ni vous ni moi sommes maîtres. Les voici: étant donné 1° un objet, 2° un auteur, 3° un public, 4° un lieu institutionnel prêt à enregistrer cet objet, à l’attribuer à un auteur et à le communiquer à un public, l’entité que cette formation appelle œuvre d’art est possible a priori.» Thierry De Duve, Résonances du ready-made. Duchamp entre avant-garde et tradition, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1989, p.18. Voir aussi du même auteur: Au nom de l’art. Pour une archéologie de la modernité, Paris, Minuit, 1989. ↩
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Paul Ricœur, Temps et récit, T.3—Le temps raconté, Paris, Seuil, 1985, p.286-287. ↩
Published on <o> future <o>, April 14, 2016.
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Ce texte fait partie de Les Protagonistes un ensemble de traductions et de textes publiés par François Aubart en parallèle de deux projets: le cycle de discussions Laissez-vous séduire par le sex appeal de l’inorganique du 26 septembre 2015 au 25 février 2016 au centre d'art Passerelle à Brest et l'exposition De toi à la surface, du 21 janvier au 10 avril 2016 au Plateau, Frac Île-de-France à Paris.