«DISTRIBUTING ART IN BOOKS WOULD MAKE IT AS CHEAP AND ACCESSIBLE AS COMIC BOOKS. AND THAT WOULD CHANGE A LOT OF THINGS.»1
Depuis que les livres et les éditions d’artistes constituent un territoire pour l’art, c’est-à-dire depuis le début des années 19602, une constante dans leur historiographie est l’affirmation de leur capacité supposée à «démocratiser» l’art. Cette affirmation—tant de la part des artistes que des critiques, des historiens ou des théoriciens—marqua en particulier la période pionnière des années 1960-1970, et reste aujourd’hui valable pour beaucoup d’artistes qui recourent au livre et à l’édition. En effet, les pratiques éditoriales des artistes actuels sont largement tributaires de celles qui se sont développées il y a quarante ou cinquante ans, bien que les contextes artistique, culturel et politique aient changé, ce qui implique aussi d’en saisir les différences.
Le terme «démocratiser» recouvre diverses significations, plus ou moins liées les unes aux autres. Ainsi, démocratiser c’est rendre plus démocratique le fonctionnement d’une organisation sociale en vertu de l’étymologie bien connue du terme: demos, le peuple, et cratos, le pouvoir. Démocratiser, c’est aussi rendre accessible, cette signification du terme pouvant elle-même se comprendre en deux sens, souvent entremêlés. Le premier sens est d’ordre quantitatif: démocratiser c’est assurer la «croissance en volume […] de la population qui utilise une institution ou pratique une activité déterminée»3. Le deuxième sens a trait davantage à la diversification sociale de la dite population. En ce sens, démocratiser une activité culturelle consiste non seulement à la rendre accessible à un nombre élevé de personnes, mais aussi et surtout à favoriser son accès quels que soient les acquis culturels et sociaux des récepteurs potentiels.
«Démocratisation» semble donc être un synonyme de popularisation, de vulgarisation ou de massification, et c’est d’abord en ce sens, en effet, que l’entendent ceux qui se sont exprimés au sujet du livre d’artiste. La plupart des auteurs qui ont ou qui ont eu une pratique régulière voire intensive du livre d’artiste, de même que la plupart des commentateurs qui ont abordé le phénomène en spécialistes, ne manquent pas de souligner que la force du livre est d’être un objet financièrement abordable, transportable, non précieux voire ordinaire: autant de qualités censées rendre l’art accessible à tous dès lors que les œuvres seraient médiatisées par les moyens du livre plutôt qu’exposées sous forme d’objets dans les lieux conventionnellement dédiés à l’art.
«Nous voulions contourner les musées et les galeries, qui occupaient une place exclusive à l’époque, et atteindre un plus large public, au départ, en les engageant dans une forme de dialogue, puis, plus tard, à travers la notion d’œuvre reproductible et bon marché»4, explique ainsi le collectif General Idea, lorsqu’il commente le projet File Megazine (1972-1989).
Martha Wilson, fondatrice de Franklin Furnace, l’une des premières organisations qui constituèrent une collection de livres d’artistes, abonde en ce sens lorsqu’elle déclare: «Le livre a été reconnu par les artistes comme une unité portable qui permettrait de disséminer les idées artistiques efficacement, et comme un moyen par lequel influer sur le grand public. Beaucoup de disques, de livres, de cassettes audio et de magazines d’artistes sont conditionnés pour la distribution à travers les circuits commerciaux, et les artistes se familiarisent avec les techniques de marketing dans l’espoir de vendre leurs œuvres à l’audience potentiellement large qui existe en dehors du monde de l’art. […] J’ai l’espoir que bientôt les livres d’artistes seront aussi communs que les boîtes de céréales, lus encore et encore en toute tranquillité par les gens dans leurs salons, ou donnés comme des cadeaux à la place du papier à lettre ou du savon.»5
Anne Mœglin-Delcroix souligne elle aussi que le livre d’artiste, «économique et d’un accès facilité, […] participe donc comme ‹art moyen› de cette volonté de démocratisation chère à bien des artistes au tournant des années soixante et soixante-dix»6, mais explique par ailleurs ne pas suivre Martha Wilson dans son souhait que les livres d’artistes deviennent aussi banals que des boîtes de céréales et adoptent les techniques commerciales de l’industrie culturelle dominante7. Surtout, Anne Mœglin-Delcroix reconnaît que, «même édité à de nombreux exemplaires, le livre a échoué à affranchir les œuvres du fonctionnement habituel du système de l’art». Et «la désillusion ne porte pas tant sur l’accès à ces œuvres, […] que sur la réalité de la demande, étroite. L’échec est celui de l’idéalisme d’artistes qui ont cru qu’il suffisait, pour changer le monde, de diffuser leurs idées par le moyen de leurs livres. […] En ce domaine, l’offre n’éveille pas nécessairement le désir, pas plus que la proposition ne suscite l’adhésion.»8 Il faut alors préciser ce en quoi consiste la revendication démocratique du livre d’artiste: évoquer indifféremment la nature démocratique de ces livres et leur capacité de démocratisation de l’art ne relève-t-il pas d’un raccourci? Est-ce seulement du côté de la réception que la nature démocratique des livres d’artistes est à chercher ou bien également du côté de la production? Une chose peut-elle être démocratique sans engager pour autant une démocratisation effective, et alors, en quel sens l’est-elle? Ou autrement dit, que signifie ici «démocratique»?
«SCATTERED AS THEY ARE NOW, THERE IS NO WAY FOR PEOPLE TO SEE THEM MUCH LESS PURCHASE THEM.»9
Entre les intentions et la réalité, le fossé est donc conséquent même s’il est déplaisant de le reconnaître. À de rares exceptions près, le lectorat du livre d’artiste constitue un public de niche au sein du public déjà spécialisé de l’art contemporain dans son ensemble.
Dès les années 1960-1970, un certain nombre d’acteurs du livre d’artiste firent d’ailleurs le constat d’un décalage entre intention et concrétisation, du fait de la difficulté à diffuser les livres au sein de réseaux de distribution élargis. La diffusion éditoriale est en effet une tâche ardue et chronophage, et qui plus est, si les livres d’artistes sont déroutants au regard des critères artistiques conventionnels, ils le sont aussi au regard des autres livres. Les livres d’artistes «n’ont que l’air ordinaires. Ils ne le sont pas»10, comme le disait Ulises Carrión. C’est en réponse à un tel constat que ce dernier créa la librairie Other Books and So11 à Amsterdam (1975-1978), et que d’autres fondèrent des structures spécialisées telles que Printed Matter (1976) à New York ou Art Metropole (1974) à Toronto. Mais si elles ne réalisent pas un travail spécifique en ce sens, de telles structures ne sont pas nécessairement des outils de démocratisation.
Il y a donc une sorte de malentendu ou de naïveté à croire dans une capacité de démocratisation de l’art par les livres d’artistes quand leur diffusion dépend essentiellement de circuits spécialisés, et ce d’autant que leur tirage s’établit rarement au-delà de 1000 exemplaires, ce qui reste relativement modeste. Qui plus est, l’abondance des exemplaires disponibles n’est pas toujours gage d’une diffusion diversifiée. Quelques publications récentes, dont l’économie de production et la diffusion ne correspondent plus au contexte des années 1960, constituent certes des contre-exemples: les livres de Sophie Calle édités chez Actes Sud ou ceux de Martin Parr se trouvent aisément dans les librairies généralistes, y compris à la FNAC. Mais des publications d’artistes telles que les journaux (U)L.S (2007-2011)12, ou les Point d’ironie édités par agnès b., ont pu atteindre jusqu’à 10 000 exemplaires pour les premiers, et 300 000 pour les seconds, sans que leur diffusion ne s’élargisse véritablement au-delà des espaces habituels de l’art—musées, centres d’art, galeries, etc.13—, peut-être, paradoxalement, parce qu’étant gratuits ils ne sont pas diffusés dans les lieux où il est d’usage d’acheter des livres, des revues ou des journaux. Aujourd’hui comme hier, dans la majorité des cas, les livres d’artistes relèvent de la micro-édition. Pour cette raison, ils sont rarement de véritables productions de masse et leur accessibilité, que ce soit en terme quantitatif ou du point de vue de leurs circuits de distribution, n’a donc pas toujours la capacité de concurrencer les autres modes de diffusion de l’art.
Lorsqu’ils concevaient leurs publications ou qu’ils promouvaient ce nouveau phénomène, les artistes et défenseurs pionniers du livre d’artiste avaient sans doute en tête le modèle des livres de poche ou bien celui des comic books. Soient les formes les plus basiques du livre, conçues pour êtres lues en tous lieux et toutes circonstances, pour être acquises par toutes les bourses, et qui pourraient ainsi contribuer au souhait d’un art réconcilié avec la vie, partagé par de nombreux artistes et critiques dans les années 1960-1970. Divers témoignages vont en ce sens, de Lucy Lippard espérant voir les livres d’artistes commercialisés dans les supermarchés14 à Adrian Piper comparant explicitement ce genre de publications aux comic books, en passant par Christian Boltanski et Jean Le Gac, qui parlaient au sujet de leurs premières éditions de «petits livres»15. Mais si les livres d’artistes partagent souvent avec les comic books, les livres de poche ou même les magazines la modestie de leur moyen de fabrication16, réfutant en cela la bibliophilie traditionnelle ou le modèle du beau livre d’art, il s’agit d’une comparaison qui reste néanmoins superficielle. En 1979, Ulises Carrión précisait d’ailleurs au sujet du livre d’artiste: «Cette nouvelle forme artistique a soulevé une grande vague d’espoir chez la plupart des artistes. Ils pensaient avoir trouvé un moyen d’expression bon marché qui les mettait directement en contact avec le public, les affranchissait tant soit peu de l’emprise des critiques, les inciterait à développer leur sens des responsabilités sociales, multiplierait à l’infini le nombre de consommateurs potentiels, et j’en passe. […] De toute évidence, cette opinion reposait, chez les artistes, sur une ignorance complète du monde du livre traditionnel, dont l’évolution […] s’est caractérisée par des mécanismes commerciaux et un syndrome de la célébrité comparables à ceux qui oppressent le monde de l’art.»17
Les comic books tout comme les livres de poche sont des genres éditoriaux dont l’histoire est indissociable des stratégies commerciales qui ont permis leur essor. Dans le cas du livre de poche, la stratégie des premiers éditeurs qui en publièrent, à l’instar de Penguin Books au Royaume-Uni en 1936, était de réduire au maximum les coûts de fabrication des ouvrages pour pouvoir les commercialiser à petit prix dans un vaste réseau de distribution n’incluant pas seulement les librairies, mais aussi les kiosques, les relais de presse en gare, etc. C’est ainsi que le livre de poche est devenu un objet de la culture populaire, au même titre que les comic books, dont les faibles prix permettent également une large diffusion, tout autant qu’ils la requièrent (pour être rentable, le nombre d’exemplaires vendus doit être élevé).
Sans réduire l’origine, ni l’intérêt ou le succès des comic books et des livres de poche à de simples stratégies économiques, il apparaît néanmoins que leur existence est indissociable d’un système de production et de commercialisation qui n’est pas celui du livre d’artiste. Ce système semble même en contradiction avec l’idéologie qui, dans les années 1960, mena les artistes vers le livre car celui-ci semblait offrir un moyen de diffuser l’art tout en contournant son marché. John Baldessari alla jusqu'à déclarer au sujet des livres d’artistes: «L’art semble pur pour un moment et déconnecté de l’argent.»18 Si le rapport des artistes de l’avant-garde des années 1960-1970 (les artistes conceptuels en particulier) au capitalisme et aux stratégies commerciales de diffusion de l’art mérite d’être appréhendé avec plus de nuance19, il apparaît néanmoins qu’au niveau des intentions, la comparaison du livre d’artiste avec des catégories éditoriales telles que le livre de poche ou les comic books n’est que partiellement fondée.
En fait, si les livres d’artistes constituent une alternative au système conventionnel de l’art, il s’avère qu’ils peuvent être également subversifs à l’égard de l’édition. Aussi, dans la préface au catalogue 1967-1968 de sa maison d’édition (Something Else Press), lorsque l’artiste Dick Higgins explique les motivations qui fondent son travail, il n’évoque pas le souhait de circonvenir au monde de l’art (bien qu’il adhère également à cette idée), mais affirme vouloir «fournir des alternatives à tout moment à ce qui est vanté par les éditeurs commerciaux»20.
Ce faisant, en se différenciant à la fois des critères artistiques traditionnels et des éditions commerciales, les livres d’artistes peuvent être perçus comme des objets hermétiques ou susciter divers malentendus, et ce bien qu’ils soient des créations accessibles en termes physique [available] et financier [cheap]. Il y a en effet un paradoxe à vouloir œuvrer en faveur d’une démocratisation de l’art tout en en faisant vaciller les critères d’appréciation et de définition, même si les artistes ont vu dans le processus d’élargissement radical de l’art une condition possible de sa réconciliation avec la vie. Ce paradoxe caractérise d’ailleurs nombre de démarches artistiques qui ont été revendiquées comme un moyen de mêler l’art à la vie par un effet de dé-spécialisation (happening, etc.). En adoptant des techniques de production, des supports, des formes et des modalités de réception qui pourraient aussi caractériser des objets ou des expériences appartenant à la vie quotidienne, les artistes souhaitaient faire de l’œuvre d’art une chose «ordinaire», et rendre l’expérience esthétique la plus commune possible. Il est vrai que comparativement aux œuvres dépendant des médiums traditionnels des beaux-arts, les livres et autres imprimés offrent un rapport à l’art plus ouvert, plus domestique sans être décoratif, davantage ancré dans le quotidien, moins sacralisé. Mais cette stratégie expose également les œuvres au risque d’une non-reconnaissance de leur identité d’art, ou peut les positionner en marge de la société, au lieu de les rendre communes, si elles sont perçues comme non-conformes aux normes et aux mentalités.
Il convient ici de se défaire d’un certain idéalisme si l’on veut traiter des livres d’artistes sans céder au processus de mythification auquel sont confrontées les avant-gardes des années 1960-1970 et les pratiques qui en sont héritières. Il ne s’agit pas de prétendre à l’objectivité en proclamant l’échec des utopies de cette époque, mais plutôt d’en préciser les contours et de comprendre en quoi elles ont joué un rôle moteur pour l’essor des livres d’artistes en observant le contexte culturel et politique dans lequel elles ont été formulées21. En effet, si le caractère démocratique des livres d’artistes est le plus souvent associé à leur nature distribuable et à leur apparence d’objet ordinaire, il y a tout lieu de penser qu’il est également lié au contexte intellectuel et militant qui caractérisait le tournant des années 1960-1970, aux États-Unis comme en Europe. De nombreuses revendications politiques de cette époque sont concernées par la question démocratique, tant de par leur objet (lutte pour les droits civiques, féminisme) que de par les moyens d’action qui leur étaient associés. Ces derniers se distinguaient souvent des modalités traditionnelles de l’action politique dans la mesure où les nouvelles formes d’action collective encourageaient un transfert du pouvoir et de la parole des élites vers le peuple. Un tel souhait fut par exemple cristallisé dans le slogan «Power to the people» et participe à l’idéologie émancipatrice de l’éducation populaire, alors au centre de nombreuses expériences.
«BOOKS ARE A VERY UNIFYING THING: WISE GUYS ‘N’ IDIOTS CAN WRITE THEM AND EVEN BLIND, DEAF AND DUMB CAN READ THEM.» 22
Dans ce contexte, éditer ou publier, c’était utiliser des moyens de production qui étaient aussi ceux de la small press et de la presse alternative pour diffuser les idées promues par les mouvements politiques et contre-culturels dont nombre d’artistes étaient parties prenantes ou observateurs attentifs. Et comme pour de nombreuses productions relevant de ce champ de l’édition, les livres d’artistes permettaient de plus de s’exprimer par des moyens auxquels tout un chacun pouvait accéder, du moins lorsque les procédés d’impression utilisés étaient la photocopie, la ronéotypie, ou d’autres techniques pouvant être associées au do it yourself (DIY). «Les tracts, les affiches, les lettres d’information, les pamphlets et autres imprimés sont importants pour toute révolution», explique l’activiste Abbie Hoffman: «Un atelier d’imprimerie est d’une absolue nécessité dans toutes les communautés, quelle qu’en soit la taille. Cela peut varier du garage avec un miméographe jusqu’à l’opération gigantesque à l’aide d’un équipement complet avec des presses d’impression et un équipement photo sophistiqué. Avec moins de cent dollars et un peu d’espace, vous pouvez commencer ce service vital. Cela prendra un moment avant que vous ne jouiez dans la cour des grands en imprimant des billets de banque, des papiers d’identité et des cartes de crédit, mais pour marcher un mile vous devez commencer par faire un pas comme l’a dit un jour Gutenberg.»23
Parallèlement à l’institutionnalisation croissante dont ils font l’objet, l’intérêt que suscitent aujourd’hui les livres d'artistes n’est pas étranger au fait que cette possibilité d’autoproduction est réactualisée, voire accentuée, par un accès généralisé aux outils informatiques et aux technologies numériques: ordinateurs, logiciels de traitement de texte et de mise en page, imprimantes personnelles, services de print on demand, etc. En effet, si la question du potentiel démocratique des livres d’artistes est souvent traitée du côté des spectateurs-lecteurs, c’est-à-dire du côté de la réception, il s’agit d’une question qui fait sens également du côté de la production. N’importe qui peut faire un livre. «Les livres d’artistes sont trop faciles à faire»24 déclare même l’éditeur Ted Castle en 1975, ce que ne dément pas l’artiste Éric Watier trois décennies plus tard lorsqu’il affirme que «Faire un livre c’est facile.»25 Ceci est un aspect fondamental pour l’histoire des livres d’artistes: autant que la possibilité de diffuser largement leur travail, ce qui intéressait les artistes Fluxus, conceptuels et autres, c’était aussi tout simplement la possibilité de pouvoir faire quelque chose, à un moment où ils n’avaient pas encore beaucoup d’opportunités ni de moyens pour rendre leurs œuvres visibles. De plus, en faisant des livres qui n’avaient rien d’objets précieux et qui résultaient de savoir-faire autres que ceux des beaux-arts, les artistes s’émancipaient de la figure du génie créateur pour adopter celle du «génie sans talent» chère à Robert Filliou.
Faire un livre c’est facile.
Prenez une feuille à l’italienne.
Imprimez au recto la couverture
et au verso l’intérieur du livre.
Pliez.
Rognez si nécessaire.
Recommencez.26
Il n’est pas question ici de qualité, ni d’intérêt, encore moins du succès de l’entreprise, mais simplement d’un potentiel. L’idéal démocratique réside également dans cette possibilité que tout un chacun puisse faire des livres, ou d’ailleurs n’importe quelle autre chose engageant un rapport créatif au monde, et dont les livres d’artistes ne sont qu’une exemplification. L’utopie que proposent les livres d’artistes, c’est aussi de devenir producteur ou diffuseur de la culture au lieu d’en être seulement récepteur, ce qui rejoint tant l’idéologie contre-culturelle du DIY que l’idée Fluxus selon laquelle tout le monde peut être artiste. Cette idée, souvent mal interprétée, ne signifie pas que chacun devrait faire de l’art sa profession, mais que l’être humain est génériquement créatif et qu’il peut donc entretenir un rapport de créativité permanente au monde, dans une attitude excédant même le concept d’art.
La philosophie du DIY et l’art des années 1960-1970—chez Fluxus en particulier—ont en commun ce souci d’encourager les individus à devenir acteurs de la société à leur échelle personnelle ou locale, plutôt que d’être passivement spectateurs ou consommateurs. Sur le plan artistique, une telle préoccupation est à mettre en regard d’un questionnement plus large sur la dimension politique de l’art. De ce point de vue, hier comme aujourd’hui, les livres d’artistes doivent également être considérés sous l’angle de leur valeur critique et sociale. La dimension politique du livre tient à son statut même de publication, c’est-à-dire à sa capacité à rendre public. Si l’on considère l’acte de publication «comme un processus et une idéologie et pas seulement comme la création et la distribution de contenu»27, il apparaît d’une part que la publicité engage une critique de la notion de propriété telle qu’elle est définie par l’idéologie capitaliste, qui en fait l’un de ses fondements28, et d’autre part, que les livres d’artistes peuvent être envisagés comme un mode de publicité «oppositionnel».
«AND SINCE A LOT OF PEOPLE CAN OWN THE BOOK, NOBODY OWNS IT.»29
Sur le premier plan, si l’acte de publication constitue une critique de l’idéologie capitaliste de la propriété, c’est parce que le livre ne peut faire l’objet d’une appropriation exclusive, mais seulement d’appropriations plurielles et complémentaires («appropriation» devant s’entendre ici comme l’action de faire sienne une chose, d’en faire sa propriété). Au contraire, le capitalisme définit la propriété comme l’appartenance d’une chose à un seul—ou à un groupe précisément déterminé—qui en fera un usage ou en tirera un profit exclusif. Le livre d’artiste, quant à lui, est inappropriable car «la reproductibilité du livre et surtout sa diffusion dans la société, font qu’il est pratiquement impossible de sortir du circuit social un titre déjà diffusé […]. En ce sens, l’‹inappropriable› signifie que le livre est indéracinable: ni personne, ni aucune instance, n’est en mesure de se l’approprier entièrement. […] Mais le livre est inappropriable encore pour une autre raison. Il n’est ni un objet comme un autre, ni une marchandise comme une autre, et il ne peut devenir une propriété comme une autre, parce que dans les plis du livre est logée la pensée de l’auteur, et par conséquent la matérialité du livre enveloppe ce qu’il y a de plus intellectuel: le livre est l’acte même de la pensée dans son exercice public. […] Le livre est inappropriable parce qu’il est une propriété inaliénable de l’auteur, susceptible de fonder les principes d’une autre économie.»30
Sur le second plan, c’est de par la place qu’ils occupent dans le champ de l’art que les livres d’artistes peuvent être appréhendés comme un mode de publicité «oppositionnel», dans le cadre d’une lecture associant théorie de l’édition, philosophie politique et prise en compte du contexte historico-artistique dans lequel s’inscrit l’émergence du phénomène. La notion d’espace public oppositionnel a été proposée par Oskar Negt et Alexander Kluge31 en tant qu’alternative critique à la définition de l’espace public de Jürgen Habermas. Selon ce dernier, l’espace public est un espace régi par le principe de publicité, c’est-à-dire par «l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison»32. La notion d’espace se rapporte ici à des institutions, à des activités, à un champ d’expérience de la société, davantage qu’à des lieux précis. Habermas a étudié la constitution d’un tel espace en s’attachant à l’essor au XVIIIe siècle des salons, des cafés, de la presse, se mettant en cela dans les pas de Kant pour qui l’usage public de la raison était «celui qu’une personne pratique en tant que savant devant un public constitué par l’ensemble du monde de ses lecteurs»33. Ce faisant, l’espace public habermassien a ses racines dans les activités sociales de la Bourgeoisie. Mais plus qu’il ne se limite à une classe d’individus, l’espace public bourgeois désigne en réalité un mode de fonctionnement politique fondé sur le principe de représentativité, les instances délibératives, la recherche du consensus social, etc. En s’attachant à la démocratie directe, aux contestations populaires, à l’auto-organisation des travailleurs, et aux espaces de production dans lesquels se déploie leur vie sociale, Oskar Negt et Alexander Kluge ont quant à eux critiqué l’essence bourgeoise de l’espace public et mis en évidence l’existence d’un espace public oppositionnel qui prend racine dans la vie prolétarienne. De même que l’espace public bourgeois d’Habermas s’étend au-delà de la classe sociale de la Bourgeoisie, de même l’espace public oppositionnel ou prolétarien de Negt et Kluge n’est pas seulement construit par l’expérience des travailleurs mais détermine plus largement des modes de communication et de socialisation. «Alors qu’il est évident que la sphère publique bourgeoise n’est pas un point de repère pour les seuls intérêts bourgeois, soulignent les deux auteurs, il n’est généralement pas admis que l’expérience prolétarienne et son organisation sont de même un facteur de cristallisation pour une sphère publique qui représente les intérêts et les expériences de l’écrasante majorité de la population, dans la mesure où ces expériences et intérêts sont réels.»34 Ainsi que l'écrit Alexander Neumann: «L’espace public oppositionnel de Negt et Kluge décrit l’amorce d’un débordement démocratique de [la] délibération représentative, partant d’une expérience prolétarienne de la prise de parole, formulée par une multitude de gens qui ne représentent rien aux yeux de la société bourgeoise: femmes, jeunes, étrangers, immigrés, marginaux, homosexuels, intellectuels critiques, juifs allemands anarchistes et autres acteurs qui échappent à la norme établie.»35
Bien que l’activité éditoriale ait toute sa place dans la conception habermasienne de l’espace public36, et en dépit de leur difficile diffusion auprès d’un public élargi, les livres d’artistes peuvent être appréhendés dans ce cadre conceptuel de par la place qu’ils occupent dans la sphère artistique, dès lors qu’on considère l’art comme un fait social engageant des rapports de production, des formes d’expérience et des modes de publicité. Dans cette perspective, le livre d’artiste s’inscrit dans un espace public oppositionnel parce qu’il est un médium approprié pour les démarches artistiques qui s’opposaient aux normes de l’art conventionnellement admises dans les années 1960; parce qu’il résultait d’un souhait de s’émanciper des institutions géographiquement centralisées37 et perçues comme bourgeoises qui validaient les normes en question (le marché de l’art, le musée, la critique traditionnelle); parce qu’il véhiculait des idées étrangères à celles qui étaient promues par les éditeurs commerciaux. Toutes ces raisons font que les acteurs du livre d’artiste occupaient, vis-à-vis du système culturel dominant et de ses instances légitimes, de ces instances de représentativité, une position critique et marginale. Cette situation est en premier lieu celle des années 1960-1970. Aujourd’hui, les pratiques artistiques pour lesquelles le livre s’avère être un médium approprié ont été institutionnalisées, les livres d’artistes de la période historique font l’objet d’une spéculation marchande parfois ahurissante, et un très grand nombre de livres d’artistes sont publiés par des galeries ou des centres d’art. Mais à y regarder de plus près, les liens du livre d’artiste à l’institution artistique existent dès les origines du phénomène, comme en attestent nombre de publications éditées par des galeries ou des musées dès les années 1960. Inversement, les postures d’autonomie reposant sur l’autoédition ou sur la création de structures éditoriales en marge du monde de l’art officiel existent toujours. Enfin, les livres d’artistes restent des livres qui n’ont que l’air ordinaire, et ne le sont pas tant que ça. Considéré en tant que phénomène global et observé vis-à-vis de la réalité sociale dans ses multiples composantes, le livre d’artiste conserve une fonction publicitaire oppositionnelle.
Si le terrain sur lequel se situent les propos précédents est ouvertement politique, c’est que l’essor des livres d’artistes s’inscrit dans un contexte historico-artistique qui était profondément politisé. Le paysage intellectuel des années 1960-1970, aux États-Unis en particulier mais aussi dans l’ensemble des sociétés occidentales, a souvent été décrit en termes de divisions ou de transformations entre la Gauche traditionnelle (Old Left) et la Nouvelle Gauche (New Left): «L’‹Ancienne Gauche› est caractérisée par son enracinement dans les débats et les luttes des années 1930, centrés sur le trotskisme et le stalinisme et la lutte contre le fascisme. Les questions centrales étaient le rôle du parti communiste; les débats à propos du ‹modernisme› et du ‹réalisme›; le rôle de la ‹culture› comme étant populiste ou avant-gardiste; l’effet de la culture de masse et le capitalisme […].»38 La Nouvelle Gauche, d’autre part, se composait d’un ensemble d’organisations et d’acteurs «qui n’étaient pas alliés aux traditions de la politique de parti de l’‹Ancienne Gauche›. La ‹Nouvelle Gauche› était moins liée aux analyses marxistes et plus à un mélange de notions et d’aspirations optimistes avec un accent plus grand sur la dimension ‹personnelle› ou ‹individualiste›.»39 Les liens de la Nouvelle Gauche au marxisme sont en réalité complexes. Plus qu’elle n’a délaissé le marxisme, la Nouvelle Gauche a critiqué la lecture canonique qu’en avait fait la Gauche traditionnelle dans le cadre de sa défense des travailleurs et de son analyse de l’économie, mais elle s’est néanmoins appuyée sur le corpus marxiste pour formuler de nouvelles analyses politiques, sociales, et surtout culturelles.
Dans le champ artistique, les dissensions entre la Nouvelle Gauche et la Gauche traditionnelle se firent principalement ressentir par rapport à l’engagement des artistes dans les nouvelles luttes politiques telles que le féminisme et le pacifisme (en particulier en ce qui concerne les prises de positions vis-à-vis de la guerre du Vietnam). Elles s’exprimèrent également sur le plan des modalités de l’engagement artistique dans ces luttes—des luttes elles-mêmes intégrées à une critique plus large du capitalisme considéré comme cause de l’impérialisme et des oppressions non seulement au nom des classes, mais aussi du genre, des races, de l'orientation sexuelle, etc. La Nouvelle Gauche a été productrice d’un art politique engagé en faveur de ces causes mais elle fut aussi contemporaine de nouvelles façons de faire de l’art. En effet, la préoccupation des années 1960-1970 n’était pas tant de faire de l’art politique que de faire politiquement de l’art. Les artistes retrouvaient là une rhétorique déjà avancée par les avant-gardes (Bauhaus, constructivisme) et certains penseurs du début du XXe siècle (Walter Benjamin)40, dont les propos ne furent pleinement reçus qu’à cette époque, sous l’effet conjugué de courants de pensée néo- ou post-marxistes (l’École de Francfort par exemple) et d’une nouvelle avant-garde artistique.
Lorsqu’il rédige en 1970 le manifeste «What is to be done?» pour la revue Afterimage, Jean-Luc Godard affirme ainsi:
- Il faut faire des films politiques.
- Il faut faire politiquement des films.
- 1 et 2 sont antagonistes, et appartiennent à deux conceptions du monde opposées.
- 1 appartient à la conception idéaliste et métaphysique du monde.
- 2 appartient à la conception marxiste et dialectique du monde.
[…]- Faire 2, c’est oser savoir où l’on est, et d’où l’on vient, connaître sa place dans le procès de production pour ensuite en changer.41
Tout ceci mérite d’être rappelé dans la mesure où les livres d’artistes proposent une manière de faire politiquement de l’art, et parce qu’ils apparaissent comme un phénomène, non pas dépendant de telle ou telle partie de l’échiquier politique, mais familier de certaines valeurs contre-culturelles qui infusent les débats politiques de l’époque correspondant à leur essor.
Remettant en cause nombre de valeurs modernistes telles que l’unicité, l’aura, le primat du visuel, la spécificité du médium, la conception greenbergienne de l’auto-réflexivité et de l’autonomie de l’art42, les livres d’artistes cherchaient à s’émanciper des instances artistiques dominantes car celles-ci entretenaient la reproduction desdites valeurs. Or ceci n’est pas sans résonance avec certains aspects de la contre-culture, sous-tendue par une critique du «système», c’est-à-dire d’une organisation sociétale perçue comme autoritaire, univoque, figée et trop centralisée.
Par ailleurs, la valorisation de l’édition comme moyen d’action artistique peut aussi être mise en regard de l’idéologie contre-culturelle dans la mesure où cette dernière s’est développée en associant un souci d’organisation collective et un sentiment de communauté d’une part, avec une logique individualiste exacerbant l’expression de soi et les libertés individuelles d’autre part43. Ces différents aspects concouraient paradoxalement à des intentions communes: quête d’autonomie, subversion des normes sociétales et culturelles, valorisation de pratiques dites alternatives, etc. Dans cette perspective, on notera que les livres d’artistes se sont développés à l’intersection d’une pratique de l’art solitaire et d’un «esprit de réseau»44. En effet, les livres d’artistes engagent une réception individuelle et se voulaient le plus souvent, lors de leur période pionnière, «une situation contrôlée par une seule personne»45—l’artiste/auteur, qui était aussi parfois éditeur dans la mesure où beaucoup de livres d’artistes étaient auto-produits. Mais par ailleurs, l’essor des livres d’artistes a été favorisé par des échanges au sein de circuits de diffusion très tôt décentralisés et internationaux, dont les acteurs étaient (et sont) tour à tour auteurs, éditeurs, diffuseurs et lecteurs. Les envois postaux, la diffusion au sein de librairies spécialisées, à l’occasion de salons ou encore sous forme d’abonnement, concourent à créer une communauté artistique qui, toute restreinte qu’elle soit, n’en est pas moins effective, dans le sens où elle occasionne des échanges concrets.
Ici, on peut enfin penser à bon escient aux comic books, dont le lectorat n’est pas seulement composé d’une addition de lecteurs individuels mais se constitue aussi en communautés de fans, partageant une culture commune, se rencontrant dans les librairies ou lors de salons spécialisés, échangeant leurs publications, publiant des fanzines au sujet de leur passion ou animant des sites et des forums sur le web, etc.
La spécificité de telles communautés d’acteurs et de lecteurs est qu’elles sont décentralisées et non astreintes à un ou quelques sites spécifiques. Elles peuvent être parfois localisées (librairies, salons) mais fonctionnent dans leur ensemble selon une logique de réseau dans le champ de la distribution, générant ainsi un espace public médiatique.
À la croisée des points de vue évoqués jusqu’ici, il apparaît alors que les livres d’artistes ne modifient pas tant l’étendue ni la composition du public de l’art que la nature de l’art lui-même, de ses modes de production et de ses modalités de réception. Mais cette idée est, au fond, beaucoup plus intéressante: le phénomène du livre d’artiste, de ce point de vue, ne propose pas seulement une conception de l’art utopique mais aussi «une possibilité réelle de faire autrement»46.
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Adrian Piper, «Cheap Art Utopia», in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», Art-Rite, №14, hiver 1976-1977, p. 11-12 [rééd. in ∆⅄⎈, №2, juin 2012, p. 147-150 (135-154)]. ↩
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Pour une définition du livre d’artiste, voir Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste [1997], Marseille, Le Mot et le Reste, 2011. ↩
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Jean-Claude Passeron, «S’entendre sur le concept de démocratisation», Problèmes politiques et sociaux, №910, mars 2005, p. 32. ↩
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General Idea: Multiples, Toronto, S.L. Simpson Gallery, 1993, n.p., cité par Marie Boivent, La Revue d’artiste. Enjeux et spécificités d’une pratique artistique, thèse sous la dir. de Leszek Brogowski, Université Rennes 2, 2011, p. 313. ↩
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Martha Wilson, «Artists Books as Alternative Space», in Artists Books: Bookworks, Melbourne, Ewing and George Paton Gallery, 1978, en ligne sur: http://franklinfurnace.org/research/related/artists_books_as_alternative_space.php [16/07/2012]. ↩
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Anne Mœglin-Delcroix, «Les livres d’artistes au département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque Nationale» [1981], Sur le livre d’artiste, Marseille, Le Mot et le Reste, 2006, p. 20. ↩
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Cf. Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste, op. cit., p. 141. ↩
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Ibid., p. 140. ↩
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Allan Kaprow, in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», art. cit., p. 9. ↩
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Ulises Carrión, «Other Books» [1986], Quant aux livres/On Books, Genève, Héros-Limite, 1997, p. 99. ↩
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Plus précisément, Other Books and So était un lieu multifonctionnel, à la fois librairie, atelier, lieu pour la programmation de performances, espace d’exposition, etc. ↩
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Les Point d’ironie sont aussi distribués dans les boutiques agnès b. et certains cafés. Mais sans verser dans la caricature, on peut néanmoins affirmer que les personnes qui les trouvent là n’élargissent pas radicalement le public de l’art. ↩
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Lucy Lippard, in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», art. cit., p. 10. ↩
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Christian Boltanski et Jean Le Gac cités par Anne Mœglin-Delcroix, in «Petits livres», Sur le livre d’artiste, op. cit., p. 247. ↩
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Pour relativiser, on notera que tout en revendiquant leur apparence de livres familiers, Ed Ruscha disait déjà en 1965 que la qualité de fabrication de ses publications était supérieure à celle des livres de poche, et qu’elles étaient de ce fait beaucoup plus coûteuses, son souhait étant de réaliser «un produit de série qui soit de premier ordre» [a mass-produced product of high order]: Ed Ruscha à John Coplans, «Concerning Various Small Fires. Edward Ruscha Discusses his Perplexing Publications», Artforum, vol. III, №5, février 1965, p. 25. La traduction est d’Anne Mœglin-Delcroix, in Sur le livre d’artiste, op. cit., p. 138. Dans la traduction française de Fabienne Durand-Bogaert pour Ed Ruscha, Huit textes et vingt-trois entretiens, 1965-2009 (Zurich, JRP|Ringier, 2010, p. 61), il est écrit: «un objet haut de gamme produit en masse». ↩
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Ulises Carrión, «Bookworks revisités» [1979], Quant aux livres/On Books, op. cit., p. 68. ↩
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John Baldessari, in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», art. cit., p. 6. ↩
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À ce sujet, voir Conceptual Art and the Politics of Publicity d’Alexander Alberro (Cambridge [Mass.], MIT Press, 2003) et la discussion qu’en propose Peter Osborne dans «Hard Sale, Conceptual Art and the Politics of Publicity», Artforum, février 2003 [16/07/12]. ↩
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Dick Higgins, «Forethoughts», in The Arts of the New Mentality, Catalogue 1967-1968, New York, Something Else Press, 1967, p. 1. ↩
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En effet, quels qu’en soient les effets concrets, force est de constater que l’utopie démocratique du livre d’artiste a eu jusqu’à ce jour un rôle moteur dans le développement de cette pratique, en en constituant l’une des raisons d’être aux yeux des artistes et de leurs commentateurs: «cette chimère féconde à la vie aussi dure que celle du livre ordinaire, comme en témoigne, chez un certain nombre d’artistes actuels, la transformation de l’argument démocratique, propre au contexte politique des années soixante, en une éthique de la diffusion élargie, opposée à l’appropriation spéculative de l’art» (Anne Mœglin-Delcroix, «La grandeur des commencements. Préface à la nouvelle édition», Esthétique du livre d’artiste, op. cit., p. XIII. L’auteure ne dit pas qui sont les artistes actuels auxquels elle se réfère, mais parmi ceux dont elle a commenté le travail, on peut penser à Roberto Martinez ou à Éric Watier). ↩
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Christof Kholhofer, in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», art. cit., p. 10. ↩
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Abbie Hoffman, Steal this Book, 1971, p. 90, en ligne sur www.semantikon.com/StealThisBookbyAbbieHoffman.pdf [23/09/2012]. ↩
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Ted Castle, in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», art. cit., p. 7. ↩
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Éric Watier, «Faire un livre c’est facile», 2007, en ligne sur: www.ericwatier.info/ew/index.php/faire-un-livre-cest-facile/ [16/07/2012]. ↩
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Éric Watier, Faire un livre c’est facile, [carte postale], s.l.n.d. ↩
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Sofia Gonçalves, «Between Editorial Concerns and Workshop», Samizdat, s.l., 2012, en ligne sur samizdat-pub.tumblr.com et http://laboratorio1.files.wordpress.com/2012/02/txt_sg_en.pdf [22/04/2012]. ↩
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La définition du capitalisme peut faire l’objet d’un long débat, mais sa caractérisation comme système économique et social fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange est affirmée ou implicitement reconnue par la plupart des définitions. ↩
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John Baldessari, in «Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium», art. cit., p. 6. ↩
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Leszek Brogowski, Éditer l’art, Le livre d’artiste et l’histoire du livre, Chatou, Éditions de la Transparence, 2010, p. 64. Cf. également Marcel Hénaff, Le Prix de la vérité. Le Don, l’argent, la philosophie, Paris, Seuil, 2002, p. 479. ↩
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Cf. Alexander Kluge, Oskar Negt, Öffentlichkeit und Erfahrung, Francfort, Suhrkamp, 1972 [repris in Oskar Negt, L’Espace public oppositionnel, Paris, Payot, 2007, p. 55-141]. ↩
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Jürgen Habermas, L’Espace public: Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise [1962], Paris, Payot, 1993, p. 61. ↩
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Emmanuel Kant cité par Oskar Negt, L’Espace public oppositionnel, op. cit., p. 63. ↩
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Alexander Kluge, Oskar Negt, «The Public Sphere and Experience: Selections», October, №46, automne 1988, p. 62. ↩
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Alexander Neumann, «L’expérience, le concept, l’imprévu», Multitudes, №39, avril 2009, p. 185. ↩
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Les espaces publics prolétariens et bourgeois sont opposés sur le plan de la définition, mais se produisent l’un l’autre de manière dialectique, si bien qu’ils ne constituent pas deux sphères hermétiquement cloisonnées. Cf. Oskar Negt, L’Espace public oppositionnel, op. cit., p. 94 sq. ↩
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Parce qu’ils sont mobiles et distribuables, les livres d’artistes ont contribué à une décentralisation de l’art qui au moment de leur essor fut aussi favorisée par l’ensemble des autres pratiques de nature médiatique, telle que la vidéo. Mais à la différence de cette dernière, la capacité de circulation du livre est d’autant plus effective qu’il ne nécessite aucun appareillage technique pour être perçu. ↩
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Francis Frascina, Art, Politics and Dissent. Aspects of the Art Left in Sixties America [1999], Manchester, Manchester University Press, 2008, p. 109. ↩
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Idem. ↩
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Walter Benjamin, «L’auteur comme producteur» [1934], Essais sur Brecht, Paris, La Fabrique, 2003, p. 122-144. ↩
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Jean-Luc Godard, «What is to be done?», Afterimage, №1, avril 1970, n.p. ↩
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Cf. Clement Greenberg, «La peinture moderniste» [1965], in Charles Harrison, Paul Wood (éds.), Art en Théorie, 1900-1990, Paris, Hazan, 1997, p. 831-837. ↩
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Il est probable que l’individualisme ait favorisé l’assimilation de la contre-culture par le capitalisme libéral (Cf. Joseph Heath, Andrew Potter, Révolte consommée: Le mythe de la contre-culture, Paris, Naïve, 2006). Cependant, Howard Brick a noté que l’idée de communauté a été fortement revendiquée aux États-Unis dans les années 1960, ces années fondatrices pour la pratique qui nous intéresse ici: «Le nouveau sens de la communauté prit plusieurs formes, depuis un regain de l’organisation de voisinage jusqu’au mouvement de non-conformité de la jeunesse appelé ‹la contre-culture›. Pourtant le concept de communauté resta vaguement défini.» Howard Brick note qu’il fut traversé par des interprétations contradictoires, aussi bien progressistes que conservatrices, et qu’il échoua à résoudre des problèmes sociaux concrets. «Néanmoins, les demandes pour des formes significatives d’action et d’expérience collective posèrent un défi considérable aux conceptions héritées de la modernité et suscitèrent des espoirs pour un nouveau genre de vie moderne qui rendrait possible […] la création d’espaces pour l’interaction face à face, le contact émotionnel, et la collaboration dans les efforts collectifs.»: Howard Brick, Age of Contradiction, American Thought & Culture in the 1960s, Ithaca—Londres, Cornell University Press, 2000, p. 98-99. ↩
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Nouvelle Revue d’esthétique, №2, «Livres d’artistes: l’esprit de réseau», 2008. ↩
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Lawrence Alloway, «Artists as Writers, part two: The Realm of Language», Artforum, vol. XII, №8, avril 1974, p. 14. ↩
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Anne Mœglin-Delcroix, «Des ‹petits livres› et autres ‹petites publications›», Critique et utopie, Livres d’artistes, La Criée centre d’art contemporain, Rennes, 2001, n.p. ↩
Published on <o> future <o>, October 2, 2012.
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Texte initialement publié dans la revue △⋔☼, №3, 10/2012, p.11-29.