Sébastien Pluot

Parasite, dans l’intervalle

Quelques mois après s’être rassemblé pour la première fois, le groupe Parasite se définit officiellement par un texte: «Parasite est une organisation d’artistes impliqués dans le soutien, la documentation et la présentation des project-based art works1. Parasite a l’intention d’établir un contexte discursif pour les project works et les enjeux qui y sont associés. Comme (para) site secondaire pour des projets qui se déroulent dans d’autres lieux, ce contexte discursif sera développé en premier lieu par diverses activités ayant lieu au sein d’organisations invitantes. À travers elles, Parasite a l’intention de défier les modes de présentation et de distribution de l’art, ainsi que de développer de nouveaux modes de participation, tant au niveau individuel, que dans le mode d’organisation de ces projets artistiques. Le project-based art, ou project art, est une forme d’activité artistique interdisciplinaire et sensible au contexte. Il implique une attitude critique et n’engage pas nécessairement une forme physique permanente. Il peut se distinguer par une tendance à circuler dans des voies complexes et de ce fait ne se trouve pas souvent confiné dans des espaces d’exposition traditionnels.»2

Se formant à un moment crucial dans la carrière de nombreux de ses participants, Parasite intervient dans le contexte de l’art des années 1990 à un moment décisif de l’évolution de l’héritage des œuvres radicales des années 1960-1970. Son analyse peut permettre d’identifier des positions et l’évolution de certaines problématiques relatives à la définition des pratiques, du rôle politique des œuvres, de la fonction de l’institution et des démarches des artistes à son égard.


Au milieu de l’année 1997, les premières rencontres de Parasite ont lieu avec un nombre restreint d’artistes dont Julie Ault, Martin Beck, Michael Clegg, Mark Dion, Andrea Fraser, Aki Fujiyoshi, Renée Green, Ben Kinmont, Silvia Kolbowski, Christian Philipp Müller, Nils Norman et J. Morgan Puett3. Le groupe s’est par la suite étendu à une vingtaine d’artistes vivants principalement à New York4. Sur une période de deux ans, ils ont mis en place un contexte de discussion et de conférences avec des rendez-vous réguliers au Clocktower, un espace dépendant de PS1. Ils ont constitué une archive de project art works rassemblant des documents concernant leur propre travail, ainsi que celui d’autres groupes formés dans les années 1960-1970. Ils ont par ailleurs réalisé une exposition de l’œuvre historique de Mel Bochner, Working Drawings and Other Visible Things on Paper not Necessarily Meant to Be Viewed as Art (1966) au Drawing Center. L’exposition devait être la première d’une série d’autres qui n’auront finalement pas lieu.

Tout au long de l’été et de l’automne 1997, les réunions en comité limité étaient consacrées à la définition du périmètre des participants et à ce qui allait constituer l’horizon d’activité du groupe. Les discussions portaient sur une définition de ce qu’ils appelaient les project works, et sur la nécessité d’envisager l’établissement d’un contrat pour ce type de pratiques. Le groupe engageait aussi de longs débats portant sur le besoin de clarifier l’interprétation des mouvements historiques ou sur la manière de réévaluer les héritages des œuvres site specific, de l’art conceptuel et de la critique institutionnelle. L’un des enjeux consistait à déterminer de quelle manière il serait possible de se positionner par rapport à ces pratiques plus de trente ans après leur naissance et à une époque où les processus d’historicisation s’accéléraient. Il s’interrogeait aussi sur les usages et les fonctions des documents et de l’archive et débattait également du rôle des galeries commerciales et des institutions muséales, des relations entre l’art, la politique et les structures de pouvoir… Enfin, il se questionnait sur la manière de produire un contexte alternatif à ces institutions sans en devenir une de plus.

Dans les mois qui ont suivi, le groupe a organisé des discussions fermées, puis ouvertes au public5. Elles portaient sur un certain nombre d’enjeux, dont: les conséquences de la dématérialisation de l’objet d’art entendu ou non comme une manière de «se libérer par la force de la tyrannie de la marchandise», tel que le définissait Lucy R. Lippard en 19736; la possibilité et l’efficience d’une critique politique, sociale et culturelle dans le travail artistique7; la nécessité de lutter contre l’instrumentalisation de l’art par les institutions, le marché de l’art et les pouvoirs politiques; la possibilité d’élaborer des pratiques autonomes permettant de résister ou d’esquiver les pressions économiques ou idéologiques. Les membres de Parasite semblent avoir toujours entretenu un questionnement actif sur ces différents enjeux, en ayant conscience de la temporalité de leurs actions, la fin des années 1990. La compatibilité des réponses apportées à cet ensemble de questions avec leur pratique individuelle fut également au cœur de leur débats. Une des questions centrales était: comment prendre en charge, dans les années 1990, les héritages de pratiques qui ont été, pour certaines, soit presque occultées par le marché de l’art, soit incorporées dans un système institutionnel? Par exemple, selon Andrea Fraser, les pratiques spécifiques au site étaient à l’époque marginalisées et, selon Martin Beck, elles commençaient à devenir instrumentalisées par différents pouvoirs qui les utilisaient à des fins sociales, promotionnelles ou touristiques.


On peut dire que les membres de Parasite partageaient un intérêt commun pour les pratiques artistiques radicales de la fin des années 1960 et du début 1970. Ils étaient ainsi la seconde génération d’artistes à se pencher sérieusement sur les œuvres de cette période, après celle de Jenny Holzer, Sherrie Levine ou Louise Lawler qui a d’ailleurs assisté à certaines discussions de Parasite. Beaucoup d’artistes du groupe, comme, entre autres, Renée Green, Ben Kinmont, Silvia Kolbowski, Julie Ault, Martin Beck, Christian Philipp Müller et Mark Dion, revendiquaient la nécessité de prendre en charge la construction du récit historique à travers des écrits et au sein de leurs propres œuvres. À titre d’exemple, l’œuvre Partially Buried in Three Parts (1996-1997), de Renée Green, revenait sur la trajectoire de l’œuvre de Robert Smithson en articulant des dimensions de son histoire personnelle à l’histoire de l’art avec celle du contexte socio-politique et institutionnel des époques que l’œuvre avait traversé. À la fin des années 1990, Silvia Kolbowski réalisait quant à elle son œuvre an inadequate history of conceptual art (1998-1999) qui questionnait autant la manière dont des œuvres conceptuelles se trouvaient représentées dans des contextes différents, que leur mode d’historicisation devenu problématique dès lors que l’institution et les historiens de l’art étaient les seuls à en assumer la tâche, produisant des distorsions parfois considérables. Le dispositif impliquant une expérience de transmission orale des œuvres conceptuelles, il s’opposait à la spéculation commerciale dont beaucoup d’œuvres conceptuelles faisaient l’objet. C’est aussi en 1997 que Ben Kinmont débuta ses recherches sur le travail de Christopher D’Arcangelo, et en particulier une pratique de réfection de loft que l’artiste avait entrepris avec son ami Peter Nadin, qui maintenait une ambiguité entre un travail ouvrier et artistique. Ben Kinmont avait déjà réalisé des expositions sous forme de publications, comme, par exemple, The Materialization of Life into Alternative Economies (1996) qui impliquait des œuvres d’artistes des années 1960-1970.


Si les membres du groupe avaient en commun, à cette époque, de pouvoir être identifiés à la scène alternative new-yorkaise, nous verrons qu’il existait de fortes oppositions entre eux, des différences de positions idéologiques et esthétiques qui ne séparaient pas le groupe en deux, mais organisaient un réseau complexe de sous-ensembles.

En premier lieu le nom, Parasite, qui fut proposé par Andrea Fraser. Il témoignait d’une position institutionnelle consistant à «parasiter» des structures existantes afin d’y introduire des discussions et des enjeux critiques qui n’y étaient pas représentés. Ce titre ne faisait pas l’unanimité dans la mesure où certains membres du groupe n’inscrivaient pas leurs pratiques dans les stratégies de la critique institutionnelle. Ben Kinmont, notamment, réalisait des actions dans la rue et plus généralement dans les espaces publics et domestiques, ou éditait des publications auto-produites qui se situaient délibérément dans une position d’autonomie à l’égard du système de l’art.


L’identification des points communs et des divergences entre les membres du groupe a ceci d’important qu’elle peut apporter une compréhension de l’évolution de certains enjeux amorcés trois décennies plus tôt et qui ont été entre-temps relativement anesthésiés ou dévoyés par le développement de l’art consumériste des années 1980 et 1990—années au cours desquelles les œuvres revendiquant des dimensions critiques, intellectuelles et théoriques de l’art étaient, comme le dit Jason Simon, «encerclées par le marché»8. Il semble aussi que les dissensions au sein du groupe proviennent du fait que, si le radicalisme de la fin des années 1960 a pu servir de référence pour tous, les modèles qu’il représentait étaient voués pour certains à demeurer des références théoriques et, pour d’autres, pouvaient être des précédents à réactiver concrètement. Il me semble qu’il est tout aussi intéressant d’analyser les raisons pour lesquelles ce groupe s’est constitué que les causes de sa disparition. Et il apparaît que l’une des raisons de son morcellement n’est pas étrangère à la manière dont ils se sont confrontés à la difficulté de prendre en charge l’héritage d’une radicalité que tous, pourtant, revendiquaient comme indispensable.


Le groupe Parasite tenait à cette ambition historiciste mais à travers des lectures différentes de l’art des années 1960-1970 et des attachements spécifiques de leurs pratiques à des précédents historiques. Ainsi, le travail de Ben Kinmont trouve une résonance dans les positions de certains Fluxus (dont Allan Kaprow et Robert Filliou) et dans des œuvres conceptuelles. Des influences qui impliquaient une reformulation en profondeur des modalités de l'expérience esthétique en dehors de l’institution et une remise en cause de la définition de l’art comme un domaine de compétence réservé9. Pour Andrea Fraser, la critique institutionnelle implique l’effectivité d’un discours critique au sein de l’institution artistique afin de la transformer de l’intérieur10. Cette pratique est, selon elle, opposée au processus de réintégration de l’art dans la vie quotidienne dans la mesure où sortir de l’institution reviendrait à sortir du champ de l’art. À titre d’exemple, les différentes manières d’interpréter l’œuvre de Mierle Laderman Ukeles11 sont significatives de ce clivage. Pour Andrea Fraser, il est question dans ce travail de «soutenir l’institution artistique dans sa capacité critique»12. Or, selon elle, le travail de Ukeles est interprété comme «une critique de l’élitisme artistique et de la définition exclusive de la culture» par les tenants de l’introduction du quotidien dans le contexte de l’art13. Et en effet, Ben Kinmont s’intéresse particulièrement à certaines œuvres d’Ukeles qui impliquaient de sortir du contexte artistique et d’interroger les relations politiques conflictuelles qui peuvent exister entre les valeurs de l’art et celles de la vie quotidienne. À l’époque où Ben Kinmont commence à développer des projets dans l’espace public, la critique institutionnelle lui apparaissait comme prise dans des contradictions insolubles dans la mesure où elle prétendait critiquer tout en validant le maintien d’une autorité arbitraire légitimant les critères d’un jugement esthétique. Lui-même proposait l’établissement d’une expérience esthétique en dehors de ces catégories imposées par l’institution. L’une des conséquences de cette position revenait à défier toute identification stable de ce qui peut définir une œuvre. Le mouvement qu’il opère depuis le début des années 1990 consiste à sortir des systèmes de valeur de l’art, même si certains aspects des projets peuvent avoir lieu dans des contextes institutionnels14. Ses projets ne consistent pas simplement à déplacer l’art dans la rue, mais à formuler, à partir de l’espace public, la possibilité d’y questionner ce que peut être une expérience esthétique émancipée des critères de jugements imposés par l’institution. Chez Fraser, il ne fait pas de doute que le lieu d’existence de l’œuvre est l’institution. Une institution qu’il faut réformer certes, mais qui reste le lieu d’autorité qui assigne le statut d’œuvre à une pratique.

LES PRÉCÉDENTS DE PARASITE

Avant de participer à la fondation de Parasite, Andrea Fraser avait déjà initié un groupe de performance féministe, The V-Girls, entre 1986 et 1996. L’idée de créer ce qu’elle appelle un project office se formule en 1992, au cours d’une discussion avec Mark Dion, Peter Fend, Nils Norman et le galeriste Colin de Land. Puis, avec Michael Clegg, elle envisagea d’envoyer des questionnaires à des artistes pour savoir de quelle manière ils établissaient leurs contrats, leurs rémunérations, leurs dépenses, leurs droits d’auteur. La prise en compte de ces questions administratives est historiquement liée aux pratiques comme aux enjeux de l’art conceptuel et de la critique institutionnelle. En effet, dès la fin des années 1960, la question du contrôle de l’artiste sur son œuvre se révèle être un enjeu déterminant. Les précédents sont nombreux: Art Worker’s Coallition (AWC)15 revendique un contrôle radical de l’artiste sur ses productions par l’établissement d’un contrat; en 1968, Daniel Buren invente un formulaire intitulé «Avertissement», impliquant l’impossibilité de vendre son travail au second marché; Seth Siegelaub rédige le modèle de son «Artist’s Reserved Rights Transfert and Sale Agreement» en 1973, etc. Selon Andrea Fraser, de telles questions pratiques ne sont pas anodines et représentent des enjeux cruciaux pour les project works. Elles témoignent de décisions politiques qui peuvent avoir une incidence, non seulement sur les conditions de travail, mais aussi sur la fonction et la signification de leurs œuvres. Lorsqu’en 1994 Andrea Fraser met en place le projet Services avec Helmut Drexler, autour de situations discursives et d’expositions d’archives, ces questions de statut, de différences entre produit de la vente d’objet et coût de travail sont abordées selon une perspective historique16. La proposition initiale du projet Services décrit précisément le terme de project work:

Il nous apparaît que cela pouvait qualifier différentes pratiques, depuis la critique institutionnelle, les traditions productivistes, activistes, documentaristes, mais aussi les pratiques post studio, site specific17 et les activités d’art publiques. Ces pratiques appelées project art ne partagent pas nécessairement une «thématique idéologique» ou des procédures communes. Elles semblent en revanche partager l’implication d’une charge de travail en excès et indépendant de tout matériel de production qui pourrait être échangé sous la forme d’un produit. En termes économiques, le travail serait désigné par le terme de «service» (en opposition à la production de biens). Cela inclut:
— Le travail d’interprétation ou d’analyse des sites et situations au sein ou en dehors de l’institution culturelle.
— Le travail de présentation et d’installation.
— Le travail de médiation à l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution culturelle.
— La promotion et autres travaux d’organisation, de production de matériaux d’éducation documentaires et la création de structures alternatives.18

Pour Andrea Fraser, les project works trouvent leur origine dans les pratiques, notamment, de Hans Haacke lorsqu’il développait par exemple des recherches documentaires sur la compagnie immobilière Shapolsky pour l’une de ses œuvres proposées dans son exposition au Guggenheim19, ou dans celles de Guerilla Art Action Group (GAAG), lorsque ses membres organisaient des meetings ou produisaient des tracts et des affiches. Pour Ben Kinmont, les exemples historiques les plus caractéristiques de project art sont les travaux d’Allan Kaprow, de Lee Lozano, de Lygia Clark ou encore de Christo et Jeanne Claude lorsqu’ils développent des recherches et organisent des rencontres avec les populations locales avant d’installer une œuvre.

De son côté, Julie Ault, une autre figure centrale de Parasite, avait déjà une longue expérience de collectif grâce au Group Material qu’elle avait initié en 1979 avec, entre autres, Tim Rollins, Doug Ashford, puis Felix Gonzalez-Torres. Un certain nombre de leurs projets témoigne d’une tentative de maintenir ou de réactiver, dans les années 1980, certaines positions initiées dans les années 1960, notamment la volonté de présenter et d’élaborer des œuvres ayant des dimensions explicitement politiques. Chaque projet portait ainsi l’ambition d’interroger les termes des relations entre l’art et la démocratie. Ce groupe s’était implanté dans un quartier hispanique du Lower East Side de Manhattan, dans une boutique avec une vitrine donnant sur la rue. Un contexte dans lequel les membres organisaient des projets collectifs impliquant des communautés du quartier qu’ils considéraient comme leur premier public. Par exemple, avec le projet People’s Choice (1981), ils invitaient leurs voisins à exposer dans l’espace de la galerie les objets qu’ils affectionnaient particulièrement. Dès le début, Group Material revendique la promotion d’un art «engagé dans la communication sociale et la transformation politique»20. Ils s’opposent à la manière dont l’art est conçu, produit, distribué et enseigné aux États-Unis. Ils veulent activement transformer les conceptions figées d’un art qu’ils jugent élitiste et comptent s’adresser explicitement à une audience qu’ils définissent selon différentes catégories: des travailleurs, des professionnels non artistes, des artistes, des étudiants ou des organisations qui ne sont pas représentées dans le champ de l’art pour des raisons sociales, politiques, sexuelles ou ethniques. Ils invitent à participer «quiconque veut questionner la culture que nous avons considérée jusqu’à présent pour acquise»21. En 1982, alors que la constitution du groupe se transforme (avec de nombreux départs et l’arrivée de Doug Ashford, qui étudia à Cooper Union avec Hans Haacke et Martha Rosler), les projets s’orientèrent dans des directions plus déclamatives avec des affichages de posters dans l’espace public, la rue, les bus et le métro. Les signes visuels sont généralement des détournements à partir de sources constructivistes, publicitaires ou de propagande d’État. Plus tard, le groupe quitte le Lower East Side et se trouve invité à exposer aussi bien dans différents contextes alternatifs, entre autres le White Column et The Kitchen, que dans des lieux institutionnels comme la Dia Foundation, le Whitney Museum, le Wadsworth Atheneum, etc. Les engagements politiques et sociaux sont toujours aussi virulents et réactifs, mais ils se développent à travers des procédures qui se sont transformées. Il était initialement question d’inviter un public non initié à l’art contemporain dans un lieu alternatif in situ, puis de déplacer les interventions dans l’espace public et enfin, de représenter des formes contestataires au sein de l’institution. Dans ce dernier contexte, les signes qu’ils manipulent s’énoncent clairement comme des œuvres et perdent l’ambiguïté qu’ils pouvaient générer précédemment dans l’espace public.


Peu de temps avant le début de Parasite, Ben Kinmont avait de son côté initié plusieurs projets artistiques impliquant la nécessité de considérer les spécificités du project art. Entre autres, un projet intitulé Agency (1997) témoignait de sa volonté et de la difficulté de constituer une structure qui permettrait de supporter ses pratiques ainsi que celles d’autres artistes impliqués dans les project works:

J’ai eu envie d’essayer d’écrire un plan de développement pour la création d’une agence de projets artistiques qui soit le partenaire d’Antinomian Press. Un ou deux ans plus tard, Anne Pasternak de Creative Time accepta de me financer pour mener à bien cette étude et pour voir si le projet était viable. Malheureusement, la seule structure financière qui me semblait pouvoir répondre à mes besoins était celle avec laquelle je n’aurais jamais souhaité travailler. Le projet fut donc sans suite. C’est à partir de cette expérience que j’ai commencé à mesurer et envisager vraiment l’indépendance des projets d’artistes, leur marginalité (à la fois subie et recherchée) et cette nécessité de liberté avec leur pratique artistique. J’étais aussi frappé par le mécontentement d’Anne face à ma décision.22


Il avait aussi développé Promised Relations; or, thoughts on a few artists’ contracts (1996-1997), un projet portant sur les contrats d’artistes qui fut une question récurrente pour Parasite:

J’écrivais mes propres contrats de propriété et d’exposition des archives. J’essayais, en particulier, de développer une économie pérenne qui me permette d’honorer les promesses inhérentes aux archives tout en gérant nos frais de subsistance. J’ai donc commencé à rechercher d’autres contrats d’artistes, Promised Relations en fut le résultat. Chaque artiste utilisait son contrat soit comme une œuvre d’art, soit comme un moyen de clarifier certains points concernant la diffusion de ses œuvres. Ce fut aussi la première fois que je proposais une exposition collective à la vente.23


Un autre projet, The Materialization of Life into Alternative Economies (1996), concernait la manière dont les enjeux économiques peuvent être un aspect central du travail.

Un projet organisé avec des personnalités du milieu artistique montrant différentes notions d’économie et de distribution: Paula Hayes/Wild Friends pour l’économie alternative, Joseph Grigely pour l’économie de l’information, On Kawara pour l’économie du don, Gordon Matta-Clark pour l’économie des affaires et Mierle Laderman Ukeles pour l’économie d’entretien. Mon objectif était d’offrir une autre lecture de l’idée de Lippard d’un art conceptuel entendu comme dématérialisation de l’objet d’art: à la place, je suggérai que, peut-être pour certains, cela ne concernait pas tant l’objet artistique que la vie, une matérialisation de la vie.24


On peut souligner qu’il existe des échos évidents entre les questions et les projets développés par Ben Kinmont, Andrea Fraser et Group Material. Ils s’accordaient ainsi sur certaines nécessités: concevoir un contrat d’artiste défini collectivement, qui offrirait un cadre juridique pour les project works, leur trouver une plate-forme de promotion et éventuellement de production. Cette notion de project art et ce qu’elle recouvrait étaient probablement ce qui pouvait faire le lien entre des pratiques hétérogènes. Pourtant, comme le souligne Silvia Kolbowski, une dissension existait au sein du groupe concernant la définition même du terme. Devait-il rester neutre ou, comme elle le précise, se référer à «des positions culturelles et politiques critiques qui étaient cruciales dans le travail de certains membres du groupe»?25 Andrea Fraser ne souhaitait pas attribuer de «thématiques idéologiques» aux pratiques regroupées autour de la définition de project art. De longues discussions eurent lieu et la majorité du groupe suivit la position d’Andrea Fraser. Une décision qui entraîna, entre autres raisons, le départ de Silvia Kolbowski. Celle-ci estimait que le fait de conférer une neutralité aux project works—de les définir uniquement en termes de méthodologie—n’était pas suffisant pour leur assigner des dimensions progressistes26.

Les désaccords portaient sur des sujets historiques, mais aussi sur ce qui pouvait être fait au sein de Parasite. Nils Norman, par exemple, voulait que Parasite devienne un collectif collaboratif à la manière de Group Material, c’est-à-dire qu’ils puissent s’engager dans la conception d’œuvres co-signées. Après avoir accompli de nombreux projets in situ dans des institutions, Andrea Fraser souhaitait constituer un lieu alternatif aux galeries, un project office lui permettant de définir un contexte au sein duquel sa pratique pouvait prendre des formes plus autonomes et dans lequel elle pouvait déterminer ses modalités d’intervention. Selon elle, Parasite ne devait pas porter l’ambition de devenir un contexte d’exposition alternatif pour les membres du groupe. Il était question d’infiltrer d’autres lieux, de les hijacker pour y introduire des discours qui n’y avaient pas lieu.

PARASITE, UNE ALTERNATIVE AUX GALERIES

Parasite a été envisagé comme un outil permettant le soutien et le développement des aspects du travail de ses membres que les galeries et les institutions ne prenaient pas en compte. Au moment où Parasite se met en place, Ben Kinmont était en train de quitter les galeries avec lesquelles il travaillait. Il imaginait trouver dans Parasite une structure lui permettant autant de fournir une logistique pour ses projets que lui offrant la possibilité de partager des expériences de pratiques alternatives. En revanche, les autres membres du groupe étaient principalement affiliés à deux galeries importantes sur la scène new-yorkaise: American Fine Art de Colin de Land27 (Mark Dion, Tom Burr, Michael Clegg et Christian Philipp Müller) et la galerie de Pat Hearn (Renée Green, Lincoln Tobier et Simon Leung). Dans son texte sur Parasite, Silvia Kolbowski décrivait le marché de l’art de l’époque comme particulièrement florissant avec un essor considérable de galeries28. Certaines d’entre elles, voulant anticiper le marché, pouvaient se permettre de promouvoir des œuvres dites risquées ou jugées invendables. Mais, si elles pouvaient présenter le travail de ces artistes, cela ne voulait pas dire qu’elle les finançait ou en vendait le travail, lorsque les œuvres pouvaient être vendues. Les positions du groupe à l’égard des galeries commerciales semblaient ambivalentes. Certains dans le groupe souhaitaient que Parasite devienne une structure commerciale qui se substituerait aux galeries existantes. Ce qui ne fut pas le cas. D’autres cherchaient une structure de support autonome, alternative aux galeries commerciales qui, elles, ne se préoccupaient que de produits finis à vendre et non de ce qui pouvait exister avant ou au cours d’un processus.

RÉFÉRENCES HISTORIQUES

Lors de sa tentative de définir ce qu’ils pouvaient accomplir en tant que groupe, Parasite a invité différentes personnes qui ont pu lui transmettre l’histoire de mouvements comme AWC et GAAG. C’est au sein de AWC qu’ont été définis les termes d’un contrat pour défendre les droits des artistes, que Parasite tentait de son côté de mettre en place. Ce sont en effet eux qui ont, trente ans plus tôt, avancé les revendications les plus explicites et critiques à l’égard de la marchandisation de l’art. Ils revendiquaient une maîtrise totale de l’œuvre par l’artiste, même après sa vente. Le contrat stipulait qu’une part des bénéfices revenait à l’artiste lorsque la pièce était vendue en second marché. Par ailleurs, l’artiste devait être consulté lorsque son œuvre était exposée et devait toucher des honoraires à chaque exposition. Avec des gens comme Jon Hendricks, également membre de GAAG et invité au moins à deux réunions en 1997, ils évoquaient la manière dont se déroulaient les rencontres qu’ils organisaient à l’époque, la manière dont ils avaient structuré AWC en comité d’une manière similaire à un parti politique, avec des groupes affectés aux différentes tâches: la réalisation des posters, la rédaction des textes, l’organisation des événements, etc. Ces discussions arrivaient à un moment où Parasite n’avait pas véritablement défini la base de ses objectifs. Silvia Kolbowski soulevait à cette occasion le fait qu’un groupe comme AWC se formait autour d’enjeux spécifiques et que si ces enjeux disparaissaient, le groupe disparaissait aussi29.

MÉTHODOLOGIES DANS LES DISCUSSIONS PRÉPARATOIRES

Dans les premiers mois de Parasite, il était déjà question de définir ce que ses membres voulaient véritablement faire ensemble et comment parvenir à s’entendre sur des positions élémentaires. L’une des premières décisions fut de mettre en place des événements publics de discussion. En lisant les notes prises lors des rencontres, on peut se rendre compte de la difficulté qu’ils ont éprouvée à définir l’organisation des échanges et la structure du groupe. De longs débats ont porté sur la définition des cadres institutionnels, les méthodologies à mettre en place et ce à quoi elles se référaient historiquement. Lors de certaines discussions, il semble qu’ils aient pris autant de temps et de soin à déterminer leur contenu que leur cadre discursif, leur forme, leur durée, le nombre et la disposition des chaises. Ils s’interrogeaient sur l’incidence que pouvaient avoir ces paramètres sur l’audience. Il était question de savoir si le public devait être large, ou restreint, s’il devait être composé exclusivement d’artistes ou si les invitations devaient être ouvertes à d’autres personnes. Aussi, le public devait-il être contacté par mail (excluant ceux qui n’en avaient pas), par téléphone ou suffisait-il de laisser aller le bouche à oreille? Les invitations devaient-elles être adressées par flyers au hasard?… Allaient-ils utiliser les ressources des institutions qu’ils parasitaient, et de quelle manière?… D’autre part, ils s’interrogeaient sur la distribution de la parole et sur le fait de savoir si la forme des débats serait plus de l’ordre d’une discussion ou d’une conférence, une table ronde ou de quelque chose qui se définirait progressivement…

On peut ainsi identifier une opposition entre ceux qui voulaient passer à l’acte et laisser les choses se déterminer progressivement, et ceux qui souhaitaient préciser rigoureusement les cadres. Il me semble qu’on peut voir dans ce clivage l’expression d’une opposition entre, d’un côté les tenants d’une méthodologie de type critique institutionnelle, impliquant la définition précise et le contrôle des forces ou pouvoir en présence, et de l’autre ceux qui souhaitaient des engagements qui n’entretiennent pas de relation de pouvoir avec le pouvoir, mais qui voulaient initier une situation selon de nouveaux paramètres. Par exemple, lorsque Ben Kinmont a inauguré la série des présentations, il avait souhaité produire une situation de discussion informelle, à l’opposé d’Andrea Fraser qui avait reproduit une situation similaire à ses performances au cours desquelles elle singeait le discours institutionnel des représentants de musées.


De nombreuses discussions et projections publiques ont finalement pu être organisées au Clocktower, un lieu qui fut mis à leur disposition par PS1 entre deux programmations. La première intervention fut tenue par Ben Kinmont concernant son projet The Agency. La seconde par Andrea Fraser sur Services, puis ce fut le tour de Nils Norman. Florian Zeyfang présenta quant à lui une conférence sur les groupes berlinois. Une table ronde portait sur l’archive et l’historicisation dans laquelle Martin Beck invita Brian Wallis (le rédacteur en chef de Art in America), John Lindell (ACT UP), Barbara Moore (Archives Fluxus) et Valerie Smith (Artists Space). Une autre portait sur les œuvres spécifiques au site. Une projection du film de Renée Green, Partially Buried in Three Parts, fut aussi organisée.

UNE ARCHIVE OU UNE COLLECTION DE DOCUMENTS

L’une des premières préoccupations de Parasite était de constituer une archive. Ils souhaitaient regrouper un ensemble de documents contemporains et historiques concernant des activités spécifiquement liées aux project works. Une lettre de proposition avait été rédigée afin que les artistes puissent léguer leur matériel (documents, papier, vidéo, ephemeras…) destiné à être disponible à la consultation. Le project art étant souvent des œuvres éphémères, la production de documents est donc un aspect parfois déterminant du travail. Il était ainsi question de pouvoir les rendre disponibles à un public ouvert. Au cours de son projet Services, Andrea Fraser avait déjà constitué des archives concernant AWC et GAAG, les avant-gardes historiques et la scène artistique de la fin des années 1960, et en particulier, les œuvres de Michael Asher et Hans Haacke. Cet ensemble, qui fut enrichi pendant les deux ans d’existence de Parasite, était installé dans un cabinet d’archivage disponible au Clocktower. Un débat s’était élaboré autour de la définition de cette archive: quel devait être le statut des documents? Pour Andrea Fraser, il était question de réaliser une «collection de documents». Pour Ben Kinmont, le problème d’une telle conception de la collection était qu’elle reposait sur une idée d’objets symboliques pouvant être exposés, mais qui présentaient le danger d’être anesthésiés par leur exposition. Or, selon lui, il fallait que ces documents au sein de l’archive aient une valeur d’usage. Ce matériel devait être moins soumis à un régime de conservation qu’à la possibilité d’être immédiatement disponible au public. Il proposa ainsi que les documents récents ou passés puissent être diffusés par la possibilité de les photocopier. Ces conceptions divergentes à l’égard de l’archive portent tout autant sur le rapport à son contenu. Les documents concernant les œuvres des années 1960 devaient-ils exister comme des référents maintenus à distance, comme des éléments de représentation symbolique ou devaient-ils être possiblement réactivés comme des recettes? L’archive de Parasite a finalement circulé dans différents contextes d’exposition, puis s’est étrangement perdue en Suisse. Il est surprenant à cet égard d’observer que, malgré le soin qu’ils ont apporté à sa réalisation, aucun des membres de Parasite ne savait précisément où elle se trouvait pendant près de quinze ans30.

EXPOSITION DE MEL BOCHNER AU DRAWING CENTER

L’œuvre historique de Mel Bochner, Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art, de 1966, fut installée par Parasite au Drawing Center en 1998. C’est véritablement la seule exposition réalisée par le groupe en deux ans, et le choix de cette œuvre n’est pas anodin. Dans le courant des années 1990, cette œuvre est devenue une référence historique de l’art conceptuel bien qu’elle n’ait été visible dans différentes publications que par une série d’images du dispositif, sans que son contenu y soit accessible31. Malgré l’importance qu’elle a pu représenter, Working Drawings… n’avait jamais été montrée à nouveau depuis 1966 à New York32. À ce sujet, Mel Bochner considère qu’il est très significatif que cette œuvre ait été prise en charge par un groupe d’artistes. Il était aussi très significatif de la part de Parasite d’exposer ce qui était l’une des premières œuvres constituée d’œuvres d’autres artistes et qui avait pour conséquence de brouiller les limites entre l’artiste et le commissaire. Pour les membres de Parasite, cela rejoignait de multiples questions qu’ils se posaient à l’égard du statut de l’archive, de la redéfinition de la place de l’auteur, des processus d’appropriation et de référentialité, mais aussi de l’indétermination de l’objet d’art. Par ailleurs, les modalités de constitution de cette œuvre entretiennent des relations avec la notion de project art. L’œuvre s’est consituée à travers un processus prenant en compte les multiples contraintes d’un contexte et non la réalisation d’un objet fini33. Comme Bochner le souligne: «What was being focused on was the process of making art»34, c’est le processus de la création artistique qui était au centre de l’œuvre. Enfin, elle pouvait aussi bien être interprétée à travers le prisme d’une critique de l’institution: les socles blancs faisant référence à l’art minimal—qui en 1966 avait déjà acquis une reconnaissance de l’institution—se trouvaient avoir dans cette situation une fonction d’usage ironique, celle de supporter des classeurs.

Je pense que l’on peut identifier différentes transformations entre la première présentation de Working Drawings… et celles qui ont eu lieu à la fin des années 1990. En 1966 ce qui est en jeu renvoie, entre autres, à de nouvelles modalités de circulation d’une œuvre, à la question de la non définition de l’auteur, à la possibilité d’utiliser une œuvre comme médium d’une autre œuvre. En 1995 et 1998, ses nouvelles présentations ajoutent d’autres dimensions, notamment celles liées à l’archive et à sa possible réactivation. Par ailleurs, on peut souligner le fait que tout un aspect décisif de l’œuvre concernant son mode d’élaboration progressive, en réponse aux contraintes institutionnelles, n’était pas identifié avant que James Meyer écrive un texte conséquent sur l'œuvre et que Parasite publie un livret dans lequel Mel Bochner précise les détails de cette histoire.

DISSOLUTION PROGRESSIVE DU GROUPE

Cette exposition du travail de Mel Bochner a lieu au moment où Parasite accède à une reconnaissance importante sur la scène new-yorkaise. Un nombre croissant de visiteurs veut participer à leurs discussions au Clocktower et ils reçoivent de nombreuses propositions d’exposition et des offres d’institutions qui veulent être «parasitées». Pourtant c’est à ce moment que le groupe cesse ses activités. Au cours des discussions que j’ai eues avec certains de ses membres, aucun ne fut capable d’identifier une date ou un événement marquant la fin du groupe. Jason Simon se souvient avoir programmé une série de vidéos au Clocktower, laissant penser que le groupe continuait, mais sans la présence des autres membres. Certains d’entre eux expliquent cette dissolution progressive par le fait que beaucoup d’artistes du groupe connaissaient un succès international et devaient partir fréquemment développer des projets à l’étranger. D’autres évoquent la frustration de ne pas avoir vu leurs attentes satisfaites.

Il semble que les dissensions existantes au sein du groupe, et qui ont certainement participé à sa fin, ont à voir avec la question de la relation avec l’institution. Une certaine partie du groupe défendait une pratique de critique de l’institution à l’intérieur de celle-ci. Une autre pensait à la possibilité, au sein d’une structure indépendante, de développer des moyens leur permettant de maintenir une alternative à l’institution en créant, notamment, un contrat d’artiste offrant une réelle autonomie au project art. Cette question n’est pas seulement une différence de vue stratégique, elle a des conséquences déterminantes dans la compréhension des pratiques artistiques impliquant la référentialité, l’usage du document et de l’archive. Elle caractérise la manière dont il est possible de se situer par rapport à la notion de pouvoir et d’autorité, de centre et de péri­phérie. Tel qu’il était en train d’évoluer vers une reconnaissance publique et institutionnelle, Parasite se voyait devoir négocier le paradoxe consistant à assumer sa réussite tout en évitant les dangers de se trouver soumis aux contraintes générées par les pouvoirs qui le reconnaissaient et qu’il entendait précisément critiquer.


Cette recherche a pu être réalisée grâce à la résidence Villa Médicis Hors les Murs. Je tiens à remercier Martin Beck, Ben Kinmont, Andrea Fraser, Renée Green, Silvia Kolbowski et Jason Simon pour le temps qu’ils m’ont accordé et les documents auxquels ils m’ont permis d’avoir accès.


  1. La traduction comme la définition du terme project work ou project-based art work reste problématique. Il sera précisé dans ce texte la manière dont il fut l’enjeu de débats au sein de Parasite. La traduction française n’étant pas satisfaisante, je choisis de maintenir le terme en anglais. 

  2. «Parasite, Mission Statement», septembre 1997. «Parasite is an artist run organization comitted to supporting, documenting, and presenting project-based art work. Parasite aims to establish a discursive context for project work and related issues. As a secondary (or para) site for projects undertaken at other locations, this discursive context will be developped initially by a variety of activities undertaken from within ‹host› organizations. Through these activities Parasite aims challenge existing modes of the presentation and distribution of art and to develop new modes of individual and organizational participation in artists’ projects. Project-based art or project art is a form of artistic activity that is interdisciplinary and context sensitive. It takes a critical stance and does not necessarly takes on a permanent physical form. It can be distinguished by a tendency to circulate in complex ways and is thus often not confined to traditional exhibition space.» 

  3. Andrea Fraser et Nils Norman avaient envisagé de former un groupe avant cette date. Lors d’une rencontre entre Ben Kinmont et Andrea Fraser, le projet s’est formalisé pour s’ouvrir rapidement à d’autres participants. 

  4. Le groupe était constitué exclusivement d’artistes qui y ont participé plus ou moins activement et à différents moments de son histoire: Julie Ault, Martin Beck, Tom Burr, Dennis Balk et Judith Barry, Michael Clegg, Mark Dion, Julia Fisher (assistante), Andrea Fraser, Aki Fujiyoshi, Renée Green, Ben Kinmont, J. Morgan Puett, Simon Leung, Silvia Kolbowski, John Menick (assistant), Christian Philipp Müller, Nils Norman, Jason Simon, Lincoln Tobier, Fred Wilson, Dan Wiley et Florian Zeyfang. Certaines personnes présentes aux premières réunions ont quitté le groupe, comme Silvia Kolbowski, tandis que d’autres, venues après, comme Jason Simon, en sont devenues des figures importantes. 

  5. J’ai pu identifier la nature et les enjeux de ces débats à travers, d’une part, les minutes des rencontres, les entretiens avec des participants et, d’autre part, grâce à des textes publiés par certains artistes et auteurs avec lesquels ils dialoguaient comme Miwon Kwon ou Diane Shamash. 

  6. Lucy R. Lippard, Six Years: The Dematerialization of the Art Object from 1966 to 1972, Berkeley— Los Angeles, University of California Press, 1973, p. 263. 

  7. Ben Kinmont avait proposé d’acheter des encarts publicitaires dans des revues d’art pour diffuser des slogans militant contre la guerre en Irak. Un projet qui réactivait une pratique des années 1960, lorsque Carl Andre, notamment, militait contre la guerre du Vietnam. Certains membres du groupe trouvaient cette proposition vaine et idéaliste dans la mesure où elle n’avait pas fait ses preuves dans l’histoire. 

  8. Entretien avec l’artiste, 2011. 

  9. Entre fin 1980 et début 1990, Ben Kinmont commençait à accomplir des travaux reposant sur les idées de «sculpture sociale», «troisième sculpture» et «sculpture pensante», qu’il réalisait dans la rue. Dans un entretien, il précise ses positions. Selon lui, beaucoup d’artistes «parlent du monde, de la production culturelle et de la manière dont ça affecte la vie quotidienne, mais si on regarde avec qui ils parlent et passent la majeure partie de leur temps, c’est généralement avec des gens qui appartiennent au monde de l’art. Donc mon idée de base était de me demander ce que les gens pensent eux-mêmes de la sculpture sociale. Qu’est-ce que les gens pensent de l’idée de processus cognitif comme un processus sculptural. Donc, je me suis dit, allons parler avec eux. Et je suis allé parler avec environ 11000 personnes pour savoir ce qu’ils en pensaient. ‹Est-ce que c’est une bonne ou une mauvaise idée?›, ‹Est-ce malin ou stupide?›,‹Est-ce que vous voulez en dire quelque chose?›, ‹Qu’est-ce que cela signifie pour vous?›, ‹Comment vous le contextualisez?›, ‹Qu’est-ce que ça veut dire?›. C’était aussi une manière de savoir ce que les gens pensent de toutes ces idées. Si les personnes s’arrêtaient et me parlaient, il y avait presque toujours des choses intéressantes à entendre.» Entretien avec Ben Kinmont par Sébastien Pluot, in Fabien Vallos (dir.), Convivio, Paris, MIX—cneai =, 2011, p. 244. 

  10. «Il n’est pas question d’être contre l’institution: nous sommes l’institution. La question est plutôt: quelle institution sommes-nous, quels types de valeurs nous institutionnalisons, quelles formes de pratiques nous célébrons et à quels types de récompenses nous aspirons.» Andrea Fraser, «From the Critic of Institutions to an Institution of Critic», Artforum, vol.  44, septembre 2005, p. 283. 

  11. À la fin des années 1960, Ukeles publie le manifeste du Maintenance Art et intervient dans différentes institutions artistiques en réalisant des travaux de maintenance, de nettoyage des espaces muséaux lors de leurs heures d’ouverture. Une pratique dévalorisée, généralement dissimulée par le musée mais néanmoins nécessaire à la visibilité des œuvres exposées était alors rendue apparente. Plus tard, ce travail sortit du musée pour se développer au sein de la communauté d’éboueurs de la ville de New York. Elle entreprit de serrer la main à chacun d’entre eux et de les remercier pour ce qu’ils faisaient pour les habitants. Elle proposa ensuite d’attribuer le terme garbage man non aux éboueurs, mais aux habitants qui produisent les déchets. 

  12. Entretien avec l’artiste, New York, 2010. 

  13. Ibid. 

  14. Ben Kinmont choisit de quitter ses galeries au moment où il intègre le groupe Parasite. 

  15. AWC s’est fondé en 1969 suite au retrait de l’œuvre de Takis de l’exposition The Machine au MoMA car l’artiste jugea qu’elle n’y était pas convenablement exposée. 

  16. Services débute à Luneburg, puis se développe dans différentes villes d’Europe jusqu’en 2001. À chaque fois, la situation se transforme selon les participants aux discussions. 

  17. Dans le texte de présentation de Parasite, ils emploieront le terme de site sensitive

  18. Andrea Fraser, «What’s Intangible, Transitory, Mediating, Participatory, and Rendered in the Public Sphere», in Museum Highlight, Cambridge (Mass.), The MIT Press, p. 47. 

  19. Shapolsky et al. Manhattan Real Estate Holdings, a Real Time Social System, as of May 1, 1971 était le titre de l’une des œuvres de l’exposition de Hans Haacke qui devait avoir lieu en 1971 au musée Guggenheim. Suite à la censure de cette œuvre par le musée, Haacke fit le choix d’annuler l’ensemble de son exposition. 

  20. Texte de présentation de la première exposition en octobre 1980, «Who Is Group Material?», in Julie Ault (éd.), Show and Tell: A Chronicle of Group Material, Londres, Four Corners Books, 2010, p. 22-23. 

  21. Idem. 

  22. Description du projet Agency dans la publication Prospectus, Paris, MIX, 2011. Ben Kinmont précise le contexte de cette œuvre: «1997. Creative Time est une association à but non lucratif basée à New York qui présente au public des projets artistiques dans diverses disciplines. Le projet ne peut être repris. Archive inclue dans la collection de l’artiste.» 

  23. Ibid. Ben Kinmont précise le contexte de cette œuvre: «1996-1997. AC Projectroom, New York. Projet d’exposition avec Marcel Broodthaers, Paula Hayes/Wild Friends, Ed Kienholz, Yves Klein, Komar & Melamid, Seth Siegelaub et Bob Projansky, et Various Times and People. Catalogue édité à 500 exemplaires. L’exposition peut être reprise. Collection de l’artiste.» 

  24. Ibid. Ben Kinmont précise le contexte de cette œuvre: «1996. Printed Matter Bookstore, New York City. Paula a répandu des paquets de graines intitulés: ‹cats dig grass›. Carol Goodden (la collaboratrice de Gordon Matta-Clark) a fourni des recettes provenant du restaurant Food, dont nous avons distribué des photocopies; et Mierle a distribué des copies de son Maintenance Manifesto de 1969. Collection de l’artiste. L’exposition peut être répétée.» 

  25. Silvia Kolbowski, «Some of Everything You’ve Ever Wanted to Know About Parasite…», Documents, n°14, hiver 1999, p. 26. 

  26. Silvia Kolbowski précise ces enjeux dans son texte sur Parasite. 

  27. Parasite a été partiellement financé par la collectionneuse Barbara Morse, qui soutenait déjà la galerie de Colin de Land. 

  28. Silvia Kolbowski, op. cit., p. 27. 

  29. Remarque retranscrite dans les minutes de la réunion du 22 juillet 1997, 178 2nd St, New York. 

  30. Je suis parti à la recherche de cette archive en 2010 sans pouvoir la localiser. En 2013, Ben Kinmont l’a retrouvé en Suisse et a demandé aux différents participants de confier leurs documents afin que l’ensemble soit conservé à la Dowtown Collection de la Fales Library de New York où l’archive se trouve actuellement. 

  31. Le catalogue de l’exposition, L’Art conceptuel, une perspective, de 1991, à l’ARC, ne précise pas le processus d’élaboration de l’œuvre. De même, le texte de Benjamin Buchloh «De l’esthétique d’administration à la critique institutionnelle» n’évoque que le principe de diffusion par photocopie et la forme du dispositif sans préciser les modalités de son élaboration. Cf. Claude Gintz (et al.), L'Art conceptuel, une perspective, Paris, Paris-Musées—Société des Amis du Musée d'art moderne, 1991. 

  32. L’œuvre a été montrée à nouveau pour la première fois dans l’exposition Mel Bochner: Thought Made Visible 1966-1973 qui a eu lieu à Yale University, Bruxelles et Munich entre 1995 et 1996. Le catalogue de l’exposition publiait un texte de James Meyer sur l’œuvre. Un fac-similé de l’œuvre de Mel Bochner accompagné d’un ensemble de textes fut publié deux ans plus tard par Christophe Cherix. Le processus d’élaboration de l’œuvre y est précisé (Genève, Cabinet des Estampes, Walter König—Picaron Éditions, 1997). 

  33. Dans le dépliant produit par Parasite, Mel Bochner précise les conditions de production de l’œuvre. Ce document reprend partiellement le texte de James Meyer ainsi qu’un entretien de Mel Bochner avec le groupe. L’histoire est la suivante: alors que Mel Bochner était enseignant à la School of Visual Art, il fut invité par la direction à présenter une exposition collective pour Noël. Il eut l’idée de rassembler des dessins préparatoires d’artistes qu’il connaissait et dont il était proche. Le manque de budget ne permettait pas d’encadrer les dessins ni de les photographier. Ne pouvant les punaiser au mur sans les endommager, il fit le choix de les photocopier avec la première machine Xerox disponible à la SVA. Dès lors, le format devenait unique, permettant la confection d’un bloc de feuilles format Letter qu’il tira en quatre exemplaires identiques disposés et reliés dans des classeurs sur autant de socles. Ces multiples interventions éloignant le contenu, les dessins, de leur définition initiale, il décida, en prévenant les artistes, de signer le projet comme son œuvre. 

  34. Entretien avec Mel Bochner, New York, 2010. 

Published on <o> future <o>, June 4, 2012.

License
CC BY-ND 3.0 France

Une première version de ce texte a été publiée dans la revue △⋔☼, №2, 06/2012, p.79-98.