♫ Un batteur placé sur le côté de la scène improvise un solo de cinq secondes. ♫
J’avais quinze ans quand j’ai touché les seins d’une fille pour la première fois. Elle avait quinze ans elle aussi et s’appelait Emma. Elle était Galloise. Ça s’est passé sur une plage, dans une ville nommée Colwyn Bay. Elle ne portait pas de soutien-gorge. Là, ce n’est pas Emma mais une photo que j’ai récupérée sur internet. J’ai décidé de m’en servir pour représenter Emma, assise sur un dolos.
La plage de Colwyn Bay est jonchée de ces blocs, des accropodes, similaires aux dolos.
Voici un spot publicitaire des années 1960 pour les soutiens-gorge Cœur Croisé, qui dessinent un X sur la poitrine.
Lui, c’est John Wayne.
Curieusement, il parle avec un accent américain, à la différence de bon nombre de véritables cow-boys. De la même façon, la comédienne de la publicité Cœur Croisé parle avec un accent anglais alors qu’elle est américaine. On oublie parfois que l’Amérique est une nation extrêmement jeune. Quand vous regardez un western, rappelez-vous bien que les cow-boys n’étaient pas vraiment américains.
Ce type parlait probablement allemand ou espagnol, mais pas américain.
Cette vidéo traîne sur le bureau de mon ordinateur depuis des siècles. Je l’ai juste appelée Hate. Je la visionne de temps à autre parce qu’elle emploie un procédé qui me plaît, et qui fait se rencontrer une masse d’informations. Je me sens proche de cette méthode—il m’arrive de penser que le langage, à son meilleur, parvient à recréer cette forme de collision libre. Cet extrait est tiré de La 25e heure, de Spike Lee. C’est un très long monologue.
Un autre monologue fantastique s’intitule Letter From America. Il est signé Alistair Cooke et était diffusé sur Radio 4. Quand j’étais enfant, mes parents habitaient à Flint, dans le Michigan, et j’écoutais cette émission avec mon père. Alistair Cooke me fait un peu penser à Quentin Crisp, sauf qu’il n’était pas gay. Il adoptait le point de vue de l’Anglais à New York, et signait chaque semaine des comptes rendus d’expat’ destinés au public anglais. Alistair Cooke est mort il y a sept ans. Par coïncidence, sa nécrologie est passée pour la première fois sur les ondes pendant que j’étais au volant à Londres. Les nécros des personnalités sont souvent préparées à l’avance, prêtes à être diffusées pour leur décès. En cas de mort prématurée, on confie généralement cette tâche à un proche, qui la rédige en urgence. Mais Alistair Cooke, journaliste de radio en phase terminale, savait qu’il était condamné et avait rédigé sa propre nécrologie, comme une Lettre d’Amérique expédiée depuis l’au-delà. Cette idée de génie a produit un grand moment de radio.
«Il est huit heures et deux minutes. Nous allons maintenant diffuser un hommage à Alistair Cooke, dont nous avons appris la disparition mardi dernier. Considéré comme l’un des plus grands hommes de radio de la planète, son émission hebdomadaire Letter from America passait sur les ondes de la BBC depuis plus d’un demi-siècle. Mais Alistair Cooke était un homme aux talents et aux passions multiples, comme nous le rappelle James Naughtie.»
«Vous vous attendez certainement à ce que je déplore de ne pas être parmi vous. Eh bien sachez que dans l’ensemble, non, je ne suis pas navré. J’estime que les présentateurs radio sont faits pour être entendus, et non être vus. Je ne tiens pas à ruiner l’image que vous vous faites de moi. Vous comprenez donc que je ne regrette pas vraiment mon absence…»
«Merci Duncan, à bientôt.»
«… alors j’entre dans la chambre sur la pointe des pieds, j’entends une respiration profonde et là, je reconnais…»
«Alistair Cooke incarnait la quintessence du présentateur radio, mais il était bien plus qu’un simple journaliste: c’était un polymathe dont l’univers incluait la presse écrite, la télévision et même l’âge d’or d’Hollywood. Un homme pour qui le piano jazz et le golf étaient aussi essentiels que la poésie—c’était un Britannique devenu Américain, une institution des deux côtés de l’Atlantique.»
«Oh, ce n’est rien, j’étais juste en train de, euh, d’écouter Alistair Cooke, je voulais entendre ce qu’il allait dire au sujet de, euh, de regretter de ne pas être parmi nous, j’étais dans la lune. Tu prends une courte pause déjeuner, non? Tu rentres chez toi après ça?»
«Oh, vraiment?»
«Ah, mince. Tant pis. En tout cas j’ai passé un très bon après-midi jusqu’ici, mon mari a remporté quatre-vingt-dix livres au Grand National.»
«Ça, c’est vrai! De toute façon, je me disais que je pourrais au moins fêter ça en m’offrant un verre. À bientôt alors.»
Comme vous avez pu l’entendre, ce moment est d’autant plus mémorable dans l’histoire de la radio britannique que la présentatrice avait oublié de ♫ Un batteur placé sur le côté de la scène exécute un solo improvisé pendant trois secondes. ♫ couper le micro, diffusant ainsi sa conversation avec le producteur technique par-dessus le programme principal. Faisons marche arrière et remontons la bande. On peut avoir un roulement de tambour à l’envers?
♫ Un batteur placé sur le côté de la scène improvise un solo de cinq secondes. ♫
Pas mal! Reprenons: Cœur Croisé…
Les soutiens-gorge Cœur Croisé dessinent un X sur la poitrine. LAX est un aéroport de Los Angeles.
La première conférence de cette série, écrite il y a dix ans, s’intitulait Loose Associations 1.1, comme la première version d’un programme informatique. La deuxième s’intitulait 2.1, puis 3.1 et ainsi de suite… Cette conférence s’intitule Loose Associations X.X, c’est 10 en chiffres romains. Parler de conférences au beau milieu d’une conférence peut paraître curieux. C’est un peu vaniteux… Voici une photo que j’ai prise juste avant de donner ma première conférence.
L’événement avait lieu dans la mairie d’un village du Lake District. Il y avait douze places assises, et trois personnes étaient présentes. Donc, la conférence d’aujourd’hui est plutôt réussie! D’ailleurs, il reste trois places au premier rang—on aurait dû inviter les trois personnes qui s’étaient déplacées il y a dix ans! L’idée de ces conférences m’est venue grâce à deux livres que j’ai lus quand j’étais étudiant…
Je ne comprenais pas tout mais j’étais fasciné par leur table des matières. À lire les titres, on s’attend à une étude phénoménologique de bien plus haute volée que le contenu réel des chapitres. Tous paraissaient liés de façon latérale plutôt que littérale et linéaire.
J’étais obnubilé par l’idée de mélanger ces titres et d’écrire de brefs chapitres sous les mêmes en-têtes, puis de les relier entre eux pour établir des connexions.
Sur le bureau de mon ordinateur, mon fichier de notes pour cette conférence est enregistré sous LooseAssX.docx. La première conférence s’intitulait LooseAss1.1notes.doc. Encore un X… docx. Il s’agit bien évidemment d’une stratégie commerciale élaborée par Microsoft dans le but de limiter la compatibilité entre les différents types de documents, ce qui oblige les utilisateurs à effectuer des mises à jour toujours plus fréquentes. C’est l’une des énigmes de la technologie moderne, au même titre que les piles et les ampoules: la version la plus parfaite, la plus durable, n’est jamais disponible, ce qui permet aux fabricants de générer plus de revenus.
Le système d’exploitation de l’ordinateur sur lequel ma conférence est enregistrée s’appelle Mac OS X. Comme j’ai commencé à voir des X partout, j’ai tapé la lettre dans Google…
Voici le résultat: les X-Files, X comme une croix sur un bulletin de vote, X comme signature, X comme l’emplacement du trésor sur une carte, Mac OS X, l’émission X Factor… Puis j’ai entré trois X…
On trouve un film d’action… et un peu de porno.
… Quatre X… c’est encore mieux, évidemment.
Deux X. Voilà un phénomène intéressant. Ça nous mène principalement à un groupe baptisé The XX. Quelqu’un qui n’aurait jamais entendu parler de ce groupe pourrait interpréter ce nom comme les deux croix qui symbolisent l’affection ou le nombre 20. Or, vu qu’elle est employée comme un symbole et non un mot, la lettre s’offre à des interprétations multiples. Leur musique n’est pas trop mal, mais pas renversante non plus—elle me rappelle «Axel F», le morceau des années 1980. Elle possède un côté énigmatique qui la rend parfaite pour les bandes sonores ou les publicités. Il se trouve que la BBC l’a utilisée pour la couverture télé des élections législatives, ce qui a dû rapporter pas mal d’argent au groupe. Ce que j’adore chez eux, c’est leur excellente campagne marketing: un symbole est une arme parfaite pour atteindre nos consciences saturées d’informations. Comme avec le graff c’est le spectateur qui fait toujours le gros du travail…
… à chaque fois que vous apercevez un X, la lettre vous rappelle ce groupe au nom purement esthétique. À Londres, la campagne annonçant l’album a pris le public par surprise. Parées d’un seul X, sans autre indication supplémentaire, les affiches disséminées dans la ville et le métro laissaient planer le mystère sur la signification de The XX. L’East End a bénéficié d’une campagne spéciale: au lieu du X blanc habituel, la lettre était découpée. Lorsqu'on collait ces affiches par-dessus d’autres affiches, les passants apercevaient les Girls Aloud ou 50 Cent à travers le X. Avec le recul, ces X invalidaient et anéantissaient toutes les autres campagnes publicitaires de la ville.
Voici à quoi ressemble le groupe. Il y a quelques mois, je me suis rendu à un vernissage à l’ICA, où j’ai discuté avec des gamins portant des pulls à col roulé, des chaînes en or et des gants noirs. Je me souviens m'être dit que c'était un look bien étrange, une mode que je n'avais encore jamais vue. Par la suite, j’ai réalisé d’où ça venait. Ce qui me plaît énormément dans la mode, c’est sa capacité à piocher dans notre passé pour s’approprier des styles parfaitement ridicules, associés à un contexte risible, et à les réinjecter dans le présent avec le plus grand sérieux. La mode s’arrange toujours pour que ça paraisse totalement normal.
Lui, c’est Dellboy. Enfin, pas tout à fait. C’est un sosie de Dellboy. Peut-être que The XX perpétuent son style vestimentaire. Historiquement, le pull-over noir à col roulé renvoie aux intellectuels français, c’est le signifiant des individus détenteurs de savoir. Quant à la chaîne en or portée par-dessus les vêtements, c’est un étalage ostentatoire de richesse. Sa casquette à carreaux est une casquette de chasseur ou d’agriculteur, je crois…
… voici des casquettes Burberry. Les jeunes gens qu’on voit sur cette photo prise dans les rues de Liverpool portent un survêtement Lacoste. Les Liverpuldiens portent beaucoup de Lacoste et de Burberry sans raison—c’est loin d’être un stéréotype. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une tradition immuable. En 1977, le club de football de Liverpool rencontra Saint-Étienne en quart de finale de la coupe d’Europe, et un certain nombre de supporters de la région prirent le bus pour rejoindre la charmante bourgade de Saint-Étienne. Ivres de rage après la défaite de leur club, les Scousers descendirent dans la rue, pillant de nombreux magasins. Malheureusement, ils ne trouvèrent que des boutiques de vêtements de golf ou de marin, ou proposant des marques dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence en 1977.
Ces vêtements emblématiques de la classe française oisive et fortunée furent rapportés et portés dans les rues de Liverpool. Même à ce jour, on associe davantage Lacoste, Le Coq Sportif et Sergio Tacchini aux supporters du club anglais qu’aux amateurs de golf et de tennis.
C’est un phénomène remarquable: non seulement la mode a traversé la Manche, mais elle a investi notre système de classes.
Ces marques durent s’adapter du jour au lendemain car elles s’adressaient désormais à un public aux revenus modestes: les vêtements furent fabriqués à meilleur marché, à une cadence plus importante et à un volume plus élevé, alors qu’ils étaient auparavant très chers et réservés à une élite aisée. Les marges de profit de ces marques connurent un essor proportionnel.
Cet homme s’appelle Erving Goffman. C’est un sociologue. Un phénoménologue, plus précisément.
En voici ma citation préférée. C’est un peu long… C’est ennuyeux, n’est-ce pas, lorsqu’on vous projette des textes et que vous devez les lire, ou pire, qu’on vous les lit? Je ne lirai que la fin: «des actes physiques mineurs—fredonnement, sifflement, mastication, grignotage, éructation, flatulence.» Il baptise cela le «langage des coulisses du comportement» et le définit comme l’ensemble des signes et des signifiants comportementaux qui nous font associer un individu à un groupe socioculturel: nos vêtements, notre vocabulaire et notre manière de saluer les gens sont autant de langages physiques, formels et visuels.
Cela ne concerne évidemment pas les seuls supporters de football; on trouve des exemples chez les coursiers à vélo, les éleveurs de volailles et chez les jeunes artistes londoniens. Ces formes de langage sont omniprésentes.
Le Grafton est un pub de Liverpool. Les supporters de foot insinuent que si leurs rivaux pensent être en enfer dans le stade, ils devraient s’aventurer dans ce pub les soirs de match.
Ça, c’est un footballeur américain. Quand nous parlons de football, les Américains parlent de soccer, et nous appelons leur sport le football américain, vous suivez? C’est assez déroutant.
Récemment, lors d’un dîner à Pittsburgh, mon voisin de table, l’artiste suisse Thomas Hirschhorn, a voulu décrire à notre hôte—dont le mari est un footballeur américain—la véritable sémiotique culturelle de ce sport. Il a suggéré que le Langage des Coulisses du Comportement du football américain trahissait une homosexualité latente. Il en tenait pour preuve le port du maquillage sur les yeux…
… les épaulières et les plastrons rembourrés des joueurs, leurs jodhpurs trois-quarts à lacets ainsi que leurs petits cache-sexes qu’ils n’arrêtent pas de tripoter… Très convaincant!
Voici la forme d’un ballon de football américain.
Voici la forme de l’Opéra de Sidney (que l’on doit à un architecte danois nommé Utzon). Il paraît que si on le démonte, ce qui est une chose assez ardue, on peut le réassembler sous la forme d’une sphère ou d’un globe représentant la Terre…
… je crois que c’est faux. Utzon dit probablement cela pour attirer plus d’attention sur le bâtiment.
Les visiteurs comparent davantage la forme de l’Opéra à celle d’un coquillage ou des voiles d’un bateau, étant donné qu’il est situé sur le port, bien que l’architecte ait toujours insisté sur le fait qu’il fallait y voir le globe terrestre.
Ça, c’est un Gömböc, la seule forme homogène au monde qui reprenne toute seule sa position d’équilibre. Quelle que soit la manière dont vous le posez sur la table, il reprendra toujours cette position. Je viens d’en fabriquer un dans mon atelier, et j’ai ajouté un contrepoids qui permet d’obtenir deux positions différentes.
Voici des accropodes, une invention sud-africaine. Dispersés sur les littoraux, ces blocs sont conçus pour briser la houle et prévenir l’érosion côtière.
Ça, c’est un dolos, la version française de la même idée.
Et voici un tétrapode, sur lequel Emma est assise; comme vous le savez, il ne s’agit pas réellement d’Emma…
Hum, le tétrapode est une invention japonaise. Ils sont plus gros que ça d’habitude. À moins que ce garçon soit vraiment très grand.
Une fois achevée, ce sera la tour la plus haute du monde. Le chantier dure depuis environ cinq ans. Cette tour de radio diffusion tokyoïte s’appelle Sky Tree et est l’œuvre d’Obayashi Corporation. C’est loin d’être le premier émetteur de Tokyo, mais la densité et la taille de la ville pousse à construire des modèles toujours plus élevés.
J’ai trouvé ça quand j’étais à Tokyo la semaine dernière. Bien que la tour Sky Tree ne soit pas terminée, les Japonais sont si enthousiastes qu’il existe déjà des produits à son effigie. Si l’on se fie à de nombreuses marchandises—comme les canettes de bière—, on croit que cette tour existe déjà, alors qu’elle n’est en réalité qu’à moitié terminée.
Je suis aussi tombé là-dessus dans une boutique: un puzzle tellement minuscule qu’il faut s’équiper d’une pince à épiler pour l’assembler. Ce qui me plaît, c’est qu’il représente la tour Sky Tree à moitié construite, et témoigne donc d’un moment bien précis dans le temps. J’entretiens une légère passion fétichiste pour les bâtiments à moitié achevés.
Deux jours avant d’arriver à Tokyo, j’étais à Mexico City, où j’ai remarqué une chose à laquelle je n’avais jamais pensé avant. Certains s’en sont peut-être déjà rendu compte: Tokyo et Mexico City sont parfaitement identiques en termes d’architecture, probablement en raison d’un code de l’urbanisme très permissif dans les deux villes qui permet aux immeubles de pousser côte à côte de manière organique. Quand on se promène dans la rue, on se croirait dans un musée d’architecture.
À Tokyo, les constructions japonaises traditionnelles (et les entreprises modernes) jouxtent des immeubles modernistes britanniques et des bâtiments préfabriqués en contre-plaqué. Ça me plaît parce que ça maintient vos sens en éveil. Similairement, à Mexico, vous trouverez des immeubles de style colonial espagnol côtoyer du faux gothique ou du simili georgien.
Aussi, ces villes sont toutes les deux frappées par de terribles tremblements de terre. C’est pourquoi tous les câbles électriques et de télécommunications sont en surface et non enterrés, comme dans la majorité des autres villes. Il y a une raison à cela: si un câble est rompu, on peut le localiser sans devoir éventrer une rue entière. Ça, c’est le Japon…
Voici la tour Dentsu, conçue par Jean Nouvel. Je crois qu’on l’appelle aussi la Carabetta Shiodome… Elle se trouve dans le quartier de Shiodome. Bien qu’il ne s’agisse pas de la plus haute tour de Tokyo et que personne n’y prête attention, c’est mon immeuble préféré, principalement à cause de cette petite section à son sommet. Bâtie en 1999, Nouvel a eu l’idée de peindre une courbe en dégradé de gris à l’un des coins de son sommet, de telle sorte que par mauvais temps, la tour a l’air de disparaître dans les nuages et paraît bien plus haute qu’elle ne l’est réellement. C’est une idée de génie. J’aimerais avoir des idées pareilles si je devais construire un immeuble!
Je connais une autre anecdote sympathique sur la tour Dentsu. Comme il est français, Nouvel a l’habitude de conduire à droite. Et bien entendu, les Japonais conduisent à gauche comme nous, les Anglais, détail qui a échappé à l’architecte. L’immeuble comportait sa propre voie de taxi qui le traversait en son centre, comme une rue miniature, mais dans le mauvais sens. Elle a été construite en 1999, et ce n’est que maintenant, onze ans plus tard, qu’ils remédient à ce problème. Ces dix dernières années, il y a eu plusieurs accidents à ce carrefour, les taxis devant se rabattre sur six voies pour rejoindre l’immeuble. C’est une erreur géniale, vous ne trouvez pas? C’est la plus embarrassante de toutes les bourdes architecturales.
Voici toujours la tour Dentsu et le reflet de la tour de Tokyo. C’est l’ancêtre de Sky Tree, une autre tour de télécommunications. On imagine l’initiateur du projet, planté devant la tour Eiffel, se disant: «On devrait avoir une tour comme ça nous aussi, ça donnerait une identité à notre ligne d’horizon.» Et ce fut fait…
…mais pour éviter qu’on la confonde avec la tour Eiffel, les Japonais
décidèrent de la peindre en rouge et blanc. Ça, c’est la tour Eiffel… Pourquoi l’Anglais est-il monté sur la tour Eiffel?…
… pour voir quel Eiffel ça faisait.
♫ Un batteur placé sur le côté de la scène exécute un roulement de tambour comique pendant deux secondes. ♫
C’était parfait, ça a super bien marché! Tout est dans le timing!
On la refait?
♫ Un batteur placé sur le côté de la scène exécute un roulement de tambour comique pendant deux secondes. ♫
C’est une belle traduction, n’est-ce pas? Entre 1889 et 1930, la tour Eiffel était le plus haut bâtiment du monde. Tout le monde l’associe à Paris—peut-être un peu trop, d’ailleurs. Ces photos sont extraites de mon dossier Culte fétichiste des bâtiments à moitié achevés.
Il existe une belle citation de Roland Barthes qui permet de mieux comprendre la tour Eiffel. Elle est tirée de l’ouvrage que j’ai mentionné plus tôt, The Eiffel Tower and Other Mythologies (La tour Eiffel). Pour Barthes, le meilleur panorama de Paris est celui qu’offre la tour Eiffel, pour la seule et unique raison qu’on ne la voit pas. C’est vrai, quand on y réfléchit: chaque fois qu’on aperçoit la tour sur la ligne d’horizon de Paris, on se retrouve plongé dans un pastiche ridicule de «la France»: une jeune fille belle à tomber qui déambule dans la rue et lève les yeux vers la tour, cigarette à la bouche, en rêvant d’une rencontre romantique en noir et blanc granuleux.
Autre fait assez drôle: Eiffel n’était pas l’architecte de la tour, mais l’ingénieur qu’on engagea pour sa réalisation. C’est suffisamment important pour être mentionné, car on ne se souvient généralement que de l’architecte. Peut-être qu’en 1899 l’architecte n’avait qu’un rôle de visionnaire et que le public admirait davantage les aspects techniques de la réalisation; ça expliquerait pourquoi on s’en souvient comme de la «tour d’Eiffel».
Je ne me souviens pas du nom de l’architecte de la tour Eiffel, mais je me souviens du nom de Frank Gehry. Le voici dans un épisode des Simpson. Il est bien dessiné, tout comme le tas de papiers froissés qui représente un de ses bâtiments. Frank Gehry est l’architecte que j’apprécie le moins parce qu’il
a commis des trucs comme ça…
C’est ridiculement mégalo et d’un pompeux frisant l’obscène. Mais le vrai problème, c’est qu’il y en a partout. Gehry a littéralement recouvert la planète de ses atrocités rutilantes.
Voici le Disney Music Theatre de Los Angeles, un chantier financé par Disney. De toutes les réalisations de Frank Gehry qui me déplaisent, c’est ma préférée. Le bâtiment était bien plus étincelant il y a deux ans mais on l’a récemment passé à la sableuse pour lui donner un fini mat. Sur les trottoirs du quartier, les reflets des miroirs concaves et convexes faisaient grimper la température jusqu’à 60° C par endroits, infligeant des brûlures aux passants. De la même façon, les habitants des appartements à l’arrière-plan de la photo ont vu leur facture de climatisation multipliée par quatre.
Voici le Pavillon de la musique de Chicago, toujours signé Gehry. Comme je le disais, tous ses travaux se ressemblent. On voit son reflet dans ce gros haricot—et le mien aussi, en haut à gauche, en train de prendre la photo. Cette légumineuse est baptisée Cloud Gate, et on la doit à l’artiste Anish Kapoor. Une chose est sûre en tout cas: l’homme adore tout ce qui est gros et qui brille.
Tout comme il adore voir son propre reflet, ce que je trouve assez intéressant.
Ce film des Marx Brothers s’intitule La Soupe aux canards et date de 1933. Cette scène très populaire est surnommée «la scène du miroir». Beaucoup de gens la connaissent, mais la plupart d’entre eux n’ont jamais vu le film. Il y avait cinq Marx Brothers; je ne me souviens plus de tous les noms. Il n’y avait aucun jumeau dans l’histoire, ils avaient tous un âge différent, mais ils se ressemblaient tous plus ou moins, ce qui leur permettait de faire des gags hilarants, comme celui-ci, où ils font les mêmes mouvements. Dans cette scène, ils sont trois: Groucho, le plus connu, et Harpo et Zeppo. Harpo s’appelait en réalité Adolf, mais il a changé son prénom en Arthur en 1911. Vous ne trouvez pas ça génial? Un Adolf! Plus personne ne s’appelle comme ça.
Voici une situation parapossible ou métaverselle, termes employés en philosophie pour décrire un moment où l’histoire bifurque en deux voies distinctes, engendrant deux ou plusieurs réalités possibles. Il existe probablement une version parapossible de cette conférence, dans laquelle je suis dans le public pendant que l’un d’entre vous est en train de nous parler en mourant de chaud et en se disant qu’il préfèrerait être au pub devant un panaché bien frais. Mais ce n’est pas notre réalité, et je vais devoir faire avec.
Voici Marty McFly dans Retour vers le futur, au moment où son existence est mise en péril à cause des hésitations amoureuses de sa mère et de son père.
Voici des lots vendus aux enchères à Sotheby’s. Ce sont des accessoires du film, le deuxième, je crois, celui où ils se rendent dans le futur. Le troisième se déroule au Far West, mais là, c’est Retour vers le futur 2.
Le grand, c’est mon père; la femme avec un bonnet de laine, c’est ma mère, et le petit, c’est mon frère Neil. Cette photo pourrait illustrer une version parapossible de mon existence. Quand je regarde Retour vers le futur, j’imagine que c’est moi qui apparaît et disparaît à côté de mon frère sur cette photo.
Voici une autre situation parapossible, très douloureuse celle-ci, qui est le fruit de mon imagination. C’est la reconstitution d’un incident aux conséquences désastreuses. Sur la photo, tirée du London A to Z, montrant le quartier de Haggerston Park à Hackney, on note la présence d’une City Farm et d’un Ski Centre, sauf que cette piste de ski n’a jamais existé.
Curieusement, on ne la trouve ni sur Multimap, ni sur Google Maps. Après quelques recherches, j’ai découvert que l’éditeur, A to Z, insère des bâtiments et des lieux fictifs dans ses plans pour des raisons de copyright: ça lui permet de prouver au tribunal que le plan lui appartient s’il découvre qu’il se fait plagier. Amateurs de ski, vous voilà prévenus.
Voici un autre type de fiction. Ce sont des livres dont vous êtes le héros. J’en avais une tonne quand j’étais gosse. Ils ont été inventés à San Francisco dans les années 1960. Je les soupçonne d’être la création de hippies locaux, fumeurs de joints et brûleurs d’encens, qui passaient des disques du Grateful Dead en taillant leurs plants d’herbe pour en améliorer le goût. Ces livres épatants étaient très en avance sur leur temps. Cet ouvrage en particulier possède quarante-deux fins possibles pour un seul début. On commence toujours à la première page, mais l’aventure peut s’achever à la page 44, bien que le livre en fasse cent cinquante, et vous pouvez lire quarante-deux histoires différentes en fonction des décisions que vous prenez en bas de chaque page.
Par exemple, sur la première page, la fin du paragraphe indique «rends-toi à la page 48». Au bas de la page 48, un nouveau choix qui vous mènera ailleurs. Là, vous êtes page 18. Vous faites le premier choix, qui vous emmène page 24. La lecture ne s’effectue pas de façon linéaire, de la première à la dernière page, mais latéralement, par méandres et allers-retours. Plutôt cool, non?
Il y a quatre ans environ, j’ai voulu dessiner une arborescence ou un schéma de l’un de ces livres sur le mur de mon atelier. Je voulais le visualiser comme une entité complète. J’ai photocopié un ouvrage à plusieurs reprises, découpant les pages et essayant de les disposer sur le mur, mais je n’ai jamais trouvé de procédé satisfaisant.
Dans ma tête, le résultat ressemblait à ça. L’histoire commence à la base de l’arbre et l’intrigue se ramifie à mesure que l’on monte. Le problème, c’est que les pages centrales s’intègrent plusieurs fois dans le récit: si vous lisez le livre quarante-deux fois, vous passerez peut-être sept fois par la page 18, ce qui empêche de cartographier le livre sous la forme d’une arborescence linéaire.
Je suis récemment tombé sur un type nommé Christian Swinehart, qui a étudié le graphisme et l’analyse d’informations au Rhode Island College of Design et a dressé la carte d’un livre dont vous êtes le héros. Voici le résultat. Le gros point placé au centre représente la première page, le point de départ, et les points de différentes couleurs disposés tout autour représentent les dénouements possibles—je crois que les points verts désignent les issues victorieuses, les rouges celles où vous périssez, et les bleues celles qui vous renvoient au début de l’histoire. On remarque toutefois que les itinéraires sont circulaires et qu’on repasse plusieurs fois par certaines pages.
Voici un If magique. Le concept n’est pas très éloigné d’un arbre généalogique, dans le sens ou cet arbre fait figure de mère parfaite. Lorsqu’il meurt, ses branches supérieures se nichent dans le creux au centre de son tronc et y déposent une grappe de semences. Ensuite, pendant plusieurs années, l’arbre reste à moitié mort. Ses feuilles et ses branches acheminent l’eau de pluie grâce à une sorte de réservoir pour alimenter les semis, protégés des agressions extérieures par le tronc creux qui les abrite. On peut le comparer à une mère protégeant son enfant. Ce dernier grandit à l’intérieur de sa mère, qui finira par mourir pour lui laisser la place, avant que, dix ans plus tard, il enterre ses propres semences en son centre avant de mourir, pour protéger son propre enfant, son jeune plant, qui mourra à son tour… C’est le cercle de la vie!
Un autre arbre, le figuier étrangleur, se comporte de manière opposée. Il pousse autour d’un autre arbre, comme un parasite armé d’une multitude de branches, et étrangle sa victime jusqu’à ce qu’elle meure, pourrisse et se désintègre, ne laissant qu’un tronc aussi creux qu’un tuyau.
Voici une autre histoire de famille, mais qui cette fois a plus à voir avec le prestige ou une économie de valeurs. Dans les campagnes françaises, entre 1700 et 1960 environ, les tuiles des toitures étaient toutes modelées sur les cuisses de la mère de famille.
Voici ma femme en train d’en essayer une. Visiblement, les cuisses du modèle étaient plus grosses et plus longues. J’aime bien cette idée. Le haut de la cuisse est plus large qu’au niveau du genou, ce qui permet aux tuiles de s’emboîter en mosaïque: c’est le moule parfait. Ainsi, la grosse mère de famille française s’asseyait près d’une grande pile d’argile et moulait les tuiles sur sa cuisse avant de les laisser sécher au soleil. Un homme marié à une femme corpulente jouissait d’un prestige considérable: cela démontrait que la famille était bien nourrie. Mais il y avait aussi un aspect pratique: plus votre femme est grosse, moins de tuiles seront nécessaires pour couvrir votre toit et vous les poserez plus rapidement.
On n’est pas loin de ces femmes de l’époque victorienne qui s’efforçaient d’avoir le teint le plus pâle possible par souci de prestige, car elles montraient ainsi qu’elles n’avaient pas besoin de travailler à l’extérieur et qu’elles appartenaient à la classe oisive.
La disposition des tuiles en terre cuite sur une toiture rappelle le patchwork. Les couvertures en patchwork ont été inventées par les Hollandais, et non par les pionniers qui s’installaient dans les prairies de l’Ouest américain. On croit généralement que le patchwork est né dans cette région, mais ce sont les Hollandais qui l’ont importé là-bas. Si on y réfléchit, ça tombe parfaitement sous le sens: la Hollande pratique le recyclage depuis vingt-cinq ans, à une cadence que nous les Anglais parvenons seulement à rattraper aujourd’hui.
C’est le pays qui compte le plus de magasins de seconde main et de marchés aux puces d’Europe, et lors de la fête du Jour de la Reine, les Hollandais organisent des brocantes où ils vendent leurs bibelots. Ils sont plus que portés sur le seconde main et portent cette économie du recyclage dans leurs gènes. Les couvertures en patchwork servaient à recycler les parties encore en bon état des vêtements usés. Ce n’était jamais très esthétique: composées de vieux morceaux rapiécés, ces couvertures étaient souvent peu ragoutantes.
Le motif de cette couverture date d’il y a deux cents ans. On l’appelle le motif Little Amsterdam, et c’est l’une des premières couvertures décoratives, signalant le passage d’une pratique purement fonctionnelle à un artisanat ou une démarche esthétique. Elle est exécutée avec un seul et même fil.
Voici une autre visualisation d’un livre dont vous êtes le héros réalisée par Christian Swinehart. Je ne saisis pas totalement son fonctionnement. J’imagine que la barre colorée représente les pages disposées dans un ordre linéaire; l’épaisseur des lignes pourrait renvoyer au nombre de fois où le lecteur voyage d’une page à une autre; les lignes au-dessus de la barre chronologique pourraient schématiser la progression linéaire de la lecture—on va donc de la page 1 à 12 puis à la 18—, et les lignes du dessous les retours en arrière. Mais je n’en suis pas entièrement certain…
Mon roman préféré est signé Italo Calvino. Tout comme l’histoire des Mille et une nuits, c’est un récit récursif—une histoire dans une histoire dans une histoire—, mais celui-ci a ceci d’exceptionnel qu’il est constitué d’une multitude d’histoires inachevées au sein du même récit. Dans le premier chapitre, on vous donne un livre qu’on vous demande de lire. Arrivé au deuxième, vous découvrez qu’il s’agit d’un ouvrage différent, et au troisième, vous vous rendez à la librairie pour l’échanger, convaincu que vous vous êtes trompé de livre. Au quatrième, vous entamez un livre totalement différent. Puis, dans le chapitre suivant, vous retournez voir le libraire parce que vous avez remarqué que vous lisiez l’histoire dans le désordre à cause d’une erreur de brochage. On est donc face à quinze fragments d’histoires qui n’ont pas vraiment de fin. C’est fabuleux. J’aimerais beaucoup écrire la suite des chapitres manquants, mais il me faudrait toute une vie, et ce genre de projet ne convient pas à une âme vagabonde.
Ça c'est Les Malchanceux, écrit par B. S. Johnson en 1969. Johnson était romancier, producteur de programmes de télévision, poète et philosophe. Toutes les pages sont rassemblées dans une boîte; le lecteur est censé les lancer en l’air puis les ramasser avant de commencer à lire. La narration dépend donc du lecteur et du hasard. Certaines sections font seize pages, d’autres n’en font qu’une seule, mais toutes commencent à la page 1. Intéressant.
À certains égards, c’est un moment décisif dans l’histoire de la télévision: voici encore B. S. Johnson, mais cette fois en 1973, dans Fat Man on a Beach. HTV lui laissa carte blanche pour initier le grand public à la philosophie. Le résultat est un programme de quarante minutes écrit, réalisé et présenté par Johnson.
Voici une photo de lui sur le point de prendre en photo un caméraman qui le filme alors qu’il prend une photo. Par sa structure, son illogisme, son récit récursif et sa réflexivité, ce programme était une première à la télévision britannique. Un grand moment! Cet extrait est tiré de la fin du film…
Deux semaines après la fin du tournage, il marcha vers la mer et s’y noya. Cet extrait suggère que son suicide était peut-être prémédité.
Bas Jan Ader, qui avait lui aussi le pied marin, a connu le même sort.
C’est bizarre de se dire que le voyage qui lui a coûté la vie devait constituer la seconde partie d’une trilogie et qu’à New York, sans nouvelles de lui, Marian Goodman, Mary Boone ou qui que ce soit d’autre, attendant de projeter son film, le maudissaient. «Où est passé ce fichu Hollandais? J’ai déjà dû reporter la séance quatre fois!»
Lui c'est Le Corbusier, il a aussi péri dans l’océan. L’architecte s’est fait construire une petite baraque sur la Côte d’Azur qu’il baptisa le Cabanon. C’est le plus petit bâtiment qu’il ait jamais construit mais aussi, et c’est intéressant, son préféré. Une fois terminé, il y séjournait tous les étés. Cadeau fait à sa femme, le Cabanon, par ses dimensions et sa conception, était la plus économique des habitations: tout le nécessaire était là, dans ce bâtiment de trois mètres sur trois, équipé d'un évier repliable, de petites toilettes qui se rabattaient dans le mur de telle sorte que les commissions tombaient du haut de la falaise, d’un lit escamotable et d’une kitchenette. Cinq ans jour pour jour après la mort de sa femme, allant à l’encontre des recommandations de son médecin, qui lui avait déconseillé d’aller nager en raison de ses problèmes cardiaques, Le Corbusier se rendit sur la plage de Roquebrune, à Saint-Martin, entra dans l’eau et ne revint jamais.
Voici mon conseil préféré de Le Corbusier: «Par décret, tous les bâtiments devraient être blancs.» Ça donnerait un environnement très brillant, vous ne trouvez pas? J’ai découvert qu’il existe au Japon un jour férié appelé le New New Day, initiative d’un temple shintoïste de Dazaifu, une petite ville située en périphérie de Fukuoka. J’ai comme l’impression que l’inventeur de cette fête, quel qu’il soit, s’est inspiré de la citation de Le Corbusier. Lors du New New Day, les gens sont invités à peindre leur maison en blanc avec l’aide de ce petit personnage, Arata-Chan.
Arata-Chan signifie «amie nettoyeuse»… Elle est munie d’un pinceau et d’un petit pot de peinture blanche, et porte des lunettes qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles de Le Corbusier.
Voici des affiches du New New Day de l’année dernière. On ne voit jamais de style graphique semblable en Angleterre.
Voici une figurine porte-bonheur à l’effigie d’Arata-Chan, posée sur un énorme téléphone japonais.
Et voici ma fille, Olive, qui tient une Arata-Chan que je lui ai rapportée du Japon.
Son nom complet est Olive May Gander, ce qui donne les initiales OMG. Ce n’était pas intentionnel… Je ne fais pas de blagues d’artiste conceptuel avec le nom de ma fille! Les choses sont ce qu’elles sont. J’économise pour lui offrir le même collier pour ses dix-huit ans.
The XX sont un groupe dont les membres portent des chaînes en or par-dessus leurs vêtements… Ce qui me plaît énormément dans la mode, c’est sa capacité à piocher dans notre passé pour s’approprier des styles parfaitement ridicules, associés à un contexte risible, et à les réinjecter dans le présent avec le plus grand sérieux. La mode s’arrange toujours pour que ça paraisse totalement normal.
Lui, c’est le chanteur de The XX…
… lui, c’est Dellboy…
… et voici le logo du groupe, un nom esthétisant sans aucun contenu.
Le programmateur et producteur de The XX s’appelle Jamie XX—j’ignore si ces gens ont un nom de famille—il a produit récemment un album intitulé We’re New Here, en voici la pochette. C’est une idée géniale, parce que c’est un quart de X. C’est très bien vu! Il s’est représenté par une ligne diagonale.
Mondrian abhorrait les diagonales. Lui et van Doesburg furent les meilleurs amis du monde pendant près de vingt ans. Ils se voyaient tous les jours et correspondaient lorsqu’ils n’habitaient pas dans la même ville.
Mondrian peignait des toiles comme celle-ci, des compositions abstraites constituées de champs de couleur séparés par des lignes horizontales et verticales. Mondrian avait une aversion, voire même une phobie, de la dynamique de la ligne diagonale. Malgré leur amitié, je pense que van Doesburg se foutait de lui—en reproduisant le travail de Mondrian à un angle de 45°. Je préfère mille fois le travail de van Doesburg à celui de Mondrian, principalement parce qu’il semblait introduire une torsion conceptuelle à la place de faire de la peinture abstraite.
Il s’appropriait les trouvailles de Mondrian et les recyclait sans vergogne avec un humour pince-sans-rire. Au bout de vingt ans d’amitié, les deux hommes se brouillèrent à cause d’un vitrail de van Doesburg orné de nombreuses lignes diagonales.
Ils ne s’adressèrent plus jamais la parole. Ce n’est pas comme si l’un avait couché avec la femme de l’autre: on parle bien de lignes diagonales.
Lui, c’est Frank Lloyd Wright. Six ans avant la dispute qui sépara nos deux amis, Frank Lloyd Wright réalisait des vitraux comprenant des lignes horizontales, verticales et diagonales et des cercles. En Europe, nos deux Hollandais étaient sûrement trop absorbés par leurs chamailleries pour prêter attention à ce qui se passait autour d’eux dans le reste du monde.
Ça, c’est une fenêtre de la Coonley Playhouse.
Voyons maintenant une autre grande querelle de l’histoire de l’art et du design. Voici Bruno Munari, designer à qui l’on doit des livres pour enfants, des jouets, du graphisme, différents objets et des jeux. Un homme brillant et extrêmement créatif.
Il faisait des choses comme celles-ci. Baptisées Machines inutiles, il les offrait la plupart du temps à ses amis qui les suspendaient au-dessus du lit de leurs enfants pour les distraire.
Si les deux hommes se connaissaient de réputation, cela n’empêcha pas Calder de réaliser des années plus tard des œuvres semblables aux Machines inutiles mais à une échelle monumentale. Elles finirent exposées dans les musées aux quatre coins du globe.
Ces objets étaient beaucoup plus coûteux et attiraient beaucoup plus d’attention. Calder haïssait Munari parce qu’il était conscient d’avoir volé son idée de Machines inutiles, et Munari haïssait Calder parce qu’il savait que c’était un idiot.
Voici les paroles d’une chanson d’Owada, le groupe de Martin Creed, qui décrit à la perfection ces situations récurrentes. L’art et le design ont une capacité renversante à produire des phénomènes en les amplifiant—je veux dire par là que vous pouvez vous approprier une idée et l’améliorer significativement, d’une part quand elle existe déjà sous une forme ou une autre, d’autre part quand elle vous est étrangère et que vous bénéficiez du privilège du recul. Voilà pourquoi les gens suivent des tutoriels! Quand on enchérit sur une idée préexistante, on peut la rendre encore meilleure, comme, par exemple, lorsqu’on l’enrichit d’une histoire, d’un contexte. Parfois, je dois me forcer à entamer un travail pour pouvoir y réfléchir. Ensuite, je le reprends en y intégrant une histoire, qui fait surface durant la phase de production de la première version.
Voici le groupe Åbäke, de très bons amis à moi. Ce sont aussi des graphistes.
Voici une basket New Balance dont les membres d’Åbäke m’ont parlé un soir dans un pub; ils l’ont conçue en collaboration avec Kitsuné, une ligne de vêtements et une maison de disques dont ils ont des parts. Ils m’avaient dit que leur modèle était frappé du Z de Zorro. Dans ma tête, je m’étais représenté le N de la marque incliné d’un quart de tour et brodé dans le cuir, comme une entaille rouge. Je trouvais cette idée incroyable, mais leur modèle m’a un peu déçu: ils se sont contentés d’une petite épée surmontée d’un motif de fleurs. Je suis assez partagé là-dessus: j’aimerais reproduire la chaussure que j’avais imaginée, parce que je trouve mon exagération mentale plus intéressante. Les idées naissent toujours d’autres idées; peut importe leur origine—c’est leur destination qui compte. C’est une chose que j’apprécie dans l’art, l’absence de copyright—du moins entre artistes sérieux. Et rappelons-nous que Heinz ou Coca-Cola n’ont jamais intenté de procès à Warhol.
Voici un travail dont George Henry Longly m’a parlé dans un pub. Il s’agit en fait de son travail de fin d’études au Saint Martins College of Art. Malheureusement, je ne l’ai vu qu’en photo. Après qu’il me l’a décrit, j’en ai parlé à quelqu’un d’autre en expliquant que chaque visiteur disparaissait dans un nuage de fumée. Ce qui n’est pas le cas—ma mémoire me joue des tours les lendemains de veille. Il s’agissait en réalité d’une machine fumigène contrôlée par un minuteur. Plus tard, je me suis rendu compte qu’en voulant décrire son travail, je l’avais exagéré. Dans ma version, il y a des capteurs multiples, disposés sur la porte de la galerie. La fumée sort uniquement lorsqu’une personne quitte le bâtiment. Ce qui me plaît particulièrement, c’est qu’on ne voit jamais l’œuvre en tant que telle, mais seulement les traces de notre présence dans la salle. Si quelqu’un d’autre est présent dans la pièce et décide de sortir, vous apercevrez les traces de son passage, mais comme vous disparaissez, il vous est impossible d’apercevoir l’œuvre en question. À ce moment précis, je suis censé disparaître dans un nuage de fumée grâce à une machine placée sous la table, mais malheureusement, nous ne sommes pas autorisés à l’utiliser, ça risquerait de déclencher les alarmes à incendie. Santé et sécurité!
♫ Un batteur placé sur le côté de la scène exécute un roulement de tambour comique de deux secondes. ♫
Ce qui est drôle, c’est que ces réinterprétations me sont venues alors que j’étais au pub et probablement saoul. J’ai l’impression que l’alcool stimule grandement l’imagination.
Vous devez vous imaginer ce clip au milieu d’un nuage de fumée… Il s’agit de «Take on Me», de A-ha, mais ce n’est pas la version originale. Ce genre de réinterprétation s’appelle une «version littérale». On en trouve de plus en plus sur YouTube; comme son nom l’indique, il s’agit d’une interprétation dans laquelle les paroles de la chanson sont remplacées par une description à la lettre de ce qui se passe à l’écran. Celle-ci est fantastique parce qu’elle est très bien chantée. On jurerait que ses auteurs ont retrouvé Morten Harket et l’ont persuadé de ré-enregistrer la chanson en studio.
Le Manège enchanté est lui aussi une sorte de traduction littérale. Le script original date de 1964 et est signé par Serge Danot. En 1965, la BBC acheta cinq cents épisodes de cinq minutes à la France, un gros investissement pour la chaîne. Malheureusement, le contrat était en français et la BBC ne l’avait pas lu correctement: les bobines arrivèrent en Angleterre sans les bandes audio. Il n’y avait que les images. Le contrat stipulait que la BBC n’acquérait que les visuels, sans le script ni la musique. Au lieu d’acheter les droits du script, la chaîne contacta un homme nommé Eric Thompson, qui fut chargé de réécrire la série. Ce dernier visionna les épisodes et inventa littéralement un nouveau script au fur et à mesure. La version française est très enfantine et drôle tandis que sa relecture britannique est très sombre et singulière, comme si tous les personnages étaient sous LSD.
Voici Pollux, l’un des personnages principaux. Lors de la réécriture, Eric Thompson s'inspira pour ce personnage de Tony Hancock, un comédien extrêmement drôle.
Le voici dans le film The Rebel, où il campe un artiste torturé qui décide d’abandonner la routine de sa vie d’employé de bureau londonien pour tenter de réussir dans le monde de l’art français.
Le voici dans le rôle de son personnage d’artiste vivant à Paris.
Lui, c’est un type qui s’appelle Matt Lloyd. Nous fréquentions la même école d’art à Manchester. Il y habite toujours, et il a réalisé plusieurs travaux qui abordent le fait d’être artiste.
Salut, je m’appelle Matt Lloyd. Je suis un putain d’artiste basé à Londres. Je viens du Nord, de Stoke, mais je me suis pointé ici en 1987 parce que ça bouge, vous trouvez pas? Ça bouge sacrément plus que dans le Nord. En ce moment, je travaille dans un café la journée. Je vais vous parler un peu de mon travail, parfois je, euh… je vais en boîte et, euh… je sors ma bite.
Lui, c’est Basquiat, un artiste new-yorkais, dans le film éponyme de Julian Schnabel. La photo est tirée du début du film. Alors qu’il fait des graffitis dans la rue, il regarde la vitrine de la Mary Boone Gallery, où il rêve d’être exposé un jour.
Voici Basquiat, plus tard dans le film, arrivant à son propre vernissage dans la même galerie. Cette séquence utilise un procédé assez chouette: lorsqu’il retire ses écouteurs, la musique se dissipe, comme si l’on se trouvait dans sa tête. J’ai rarement vu ce procédé ailleurs. Il y a un autre morceau de bravoure, dans lequel Andy Warhol, incarné par David Bowie, lui lance: «Jean, je n’arrive plus à reconnaître ce qui est bon!» C’est brillant.
Voici l’artiste londonienne Cornelia Parker. Son travail sur les météorites est très important pour moi. Il consiste à renvoyer dans l’espace, à bord d’une navette de la NASA, une météorite qu’elle a retrouvée dans son jardin. J’aime surtout le fait qu’il n’y ait aucune documentation, ni photos, ni lettres, ni rien du tout autour de ce travail, rien qui permette de le valider ou de le commercialiser. Il existe uniquement dans cet instant précis, au moment où je vous parle. Peut-être que demain, vous irez au pub et en parlerez à quelqu’un—et il existera à nouveau. En ce moment même, quelqu’un raconte peut-être cette histoire sur le pas de sa porte à Milan, ce qui fait qu’elle existe là-bas. Et au même moment, à Austin, au Texas, quelqu’un se réveille en disant à sa femme: «Tu sais quoi? Ce travail est fantastique», et il existe à nouveau là-bas. Il existe uniquement lorsqu’on en raconte l’histoire. C’est une œuvre qui repose sur le folklore.
Je connais une autre histoire qui relève du conte ou de la fable. C’est la seule histoire vraie que j’ai apprise par cœur. Cette photo a été prise à Betws-y-Coed, au nord du Pays de Galles, non loin de Beddgelert, ville qui abrite un pub nommé le Prince Llewelyn. Ce dernier était un aristocrate gallois qui un jour quitta son château pour une partie de chasse. En son absence, il confia la garde de son bébé à Gelert, son lévrier irlandais. À son retour, son chien était recouvert de sang et le berceau était renversé. Alors il saisit son épée et la planta dans le cœur de son fidèle compagnon. Au moment où le chien rendait son dernier soupir, le prince entendit l’enfant crier dans la pièce d’à côté. Il était sain et sauf, enroulé dans une couverture, à côté du cadavre ensanglanté d’un loup tué par le lévrier en défendant le fils du prince Llewelyn. En commémoration, on érigea une pierre tombale en l’honneur de Gelert… Beddgelert.
La poésie et les rimes sont enracinées dans le folklore. C’est depuis longtemps une façon d’assurer efficacement la transmission des histoires tout en préservant leur sens originel. Idéalement, si on apprend un poème par cœur, son sens devrait demeurer inchangé quatre cents ans plus tard. Le seul poème que je connais par cœur est un texte de Spike Milligan. «Il y avait un babouin…» C’est possible d’avoir un rythme de batterie? Je ne sais pas si la poésie se marie bien à la batterie.
♫ Un batteur placé sur le côté de la scène improvise un solo de deux secondes. ♫
«Il y avait un babouin qui, un beau matin»… On dirait de la poésie beat! «qui voulait toucher le soleil. Une fois deux ailes à ses bras accrochées, il prit son élan pour décoller et prit de la vitesse, dans un effort plein de finesse, mais sans une seule fois quitter le sol. Tu vas trop lentement, croassa un corbeau en passant, ce n’est pas comme ça qu’on décolle! Il donna donc un coup d’éperons mais quelle lourdeur dans les talons! Ses semelles prirent feu lâchèrent des nuages de chaleur, il repartit à toute vapeur, mais sans jamais toucher les cieux!» Est-ce qu’on peut interpréter un trait d’union à la batterie s’il vous plaît?
♫ Un batteur placé sur le côté de la scène improvise un solo comique de deux secondes. ♫
Ici, il devrait encore y avoir de la fumée, mais rappelez vous: santé et sécurité! Toutes ces choses fonctionnent sur le même plan: la transmission des rimes, la circulation d’un message et le code Morse simplifié, les signaux de fumée et les roulements de tambour. Toutes ces choses sont des formes basiques de communication.
Lui, c’est Fitty… 50 Cent… et des balles. Ces balles sont très importantes: sur son album Get Rich or Die Trying, on trouve «Heat», un morceau dont le beat est exclusivement composé de sons d’armes à feu qu’on recharge et qui tirent. Je vais vous le passer.
… Tu peux m’traiter de lopette
Mais attends qu’j’t’explose la tête
Et qu’ta cervelle gicle comme le coca d’une canette
C’est l’été dans l’quartier
La saison d’la chasse est ouverte
Le putain d’cagnard tape et ça nous monte à la tête
J’connais des gangsters qui s’mettent à voir la vierge quand ils s’mettent à saigner
Qui prient Jésus parce qu’ils flippent de crever
Quand mes vitres s’abaissent et que je sors mon A. K.
Accroche-toi à ton petit flingue et vide ton chargeur
Si tu t’enfuies, mes cartouches f’ront monter la chaleur
Dieu est d’ton côté? ben ouais, t’es niqué
Si je recharge c’est pour t’laisser souffler
Mais c’est un fait, j’vais t’faire la peau
Si tu t’en tires, négro
Remercie ta bonne étoile
Tu t’crois tranquille parce que t’as quitté la cité
T’es chez papa maman, tu t’crois en sécurité
Si t’étais plus futé, tu t’mettrais à flipper
J’vais finir par m’lasser et c’est ta mère que j’vais canarder
Histoire que tu finisses par venir me trouver…
Le jeu vidéo Grand Theft Auto: San Andreas renferme un cheat code très étrange. Si vous appuyez sur certains boutons dans un ordre spécifique, vous activez le «mode chaos», un mode incroyable qui repose exclusivement sur une débauche de violence extrême. Tous les algorithmes du jeu s’emballent: vous essuyez des tremblements de terre, des tornades, des incendies, des explosions, et tous les personnages que vous croisez deviennent des meurtriers en puissance lancés à vos trousses. Le jeu devient impossible, vous vous faites tuer systématiquement.
Mr. Bean, l’homme sans voix, est la série comique la plus distribuée au monde, au même titre que Grand Theft Auto pour les jeux vidéo. La popularité de Mr. Bean provient principalement de son absence de dialogue, ce qui fait que la série n’a pas besoin d’être traduite—ni sous-titrage ni doublage. Que vous vous trouviez dans une salle d’attente de dentiste en Chine ou dans votre salon, vous visionnerez exactement la même chose.
Toutes les voix des Wombles sont doublées par Bernard Cribbins. Avec celles de Felicity Kendal et Richard Briers de The Good Life, la voix de Bernard Cribbins est celle qui me rappelle le plus de souvenirs.
Voici le générique de début des Wombles. Les titres apparaissent dans le décor même du programme, procédé qu’on retrouve dans Mon oncle de Jacques Tati. Voici un autre de ses films,
datant de 1950 et intitulé Jour de fête. C’est une comédie qui se déroule dans un petit village de la campagne française. On y suit les pitreries de François, le postier local. À cette époque, on expérimentait le Thomsoncolor, procédé cinématographique trichrome. Tati souhaitait tourner en couleur, mais comme l’invention n’était pas encore tout à fait fonctionnelle, et bien qu’il fût la première personne à utiliser le Thomsoncolor, il tourna en même temps une version de secours en noir et blanc. Ainsi, pour chaque prise de vue, deux caméras étaient disposées côte à côte, avec les mêmes formats d’image, longueur focale et profondeur de champ.
Une fois le film achevé, la société Thomsoncolor avait fait faillite, et le matériel nécessaire pour développer la pellicule n’était plus disponible. Le film sortit donc en noir et blanc. Trente ans plus tard, Sophie Tatischeff, la fille du réalisateur, s’associa à un laboratoire technique pour reconstituer le procédé. C’est ainsi que les bobines en couleurs furent exhumées et développées trente ans après le tournage. Tati était déjà mort et ne put donc jamais visionner son film en couleur.
J’adore les interprétations erronées de Google, mais aussi la manière qu’il a de transcrire accidentellement le langage verbal ou littéraire en un langage visuel.
Ainsi, si vous tapez «jaune» ou «argent», vous obtenez les résultats suivants.
Si on tape «pink», on tombe sur Pink… mais pas forcément sur du rose!
Le langage de l’éventail de l’ère victorienne a été élaboré par les femmes de l’époque qui, opprimées sexuellement, peinaient à trouver un courtisan à cause de leur incapacité à approcher les hommes, due aux implications qu’une telle entreprise représente. Armées d’un éventail, elles pouvaient leur transmettre des centaines de messages différents, généralement lors des danses, bals et dîners formels. Si on maintient l’éventail devant les yeux, c’est un «non» pur et simple, mais si on le remue très rapidement, c’est plutôt: «J’ai vraiment très chaud!»
Les éventails pliants sont une invention japonaise. L’éventail simple nous vient de Chine, mais sa version pliable du Japon.
Combien de fois cela vous est-il arrivé: vous êtes à l’aéroport, vous avez passé la sécurité et le contrôle des passeports, acheté votre bouteille de gin, marché une dizaine de kilomètres jusqu’à votre terminal, attendu votre avion en retard de deux heures, et votre carte d’embarquement perforée est toute pliée, à moitié déchirée, cornée, sale et froissée, tout ça parce qu’elle dépasse de votre passeport que vous tenez à la main. Les cartes d’embarquement japonaises font trois millimètres de moins qu’un passeport, ce qui évite de les abîmer. Il fallait y penser. C’est exactement le même principe que l’éventail pliant. Toutes les compagnies aériennes devraient faire pareil!
Si ces cartes d’embarquement relèvent d’une économie de taille et d’échelle, voici une économie de distribution. L’argent, la monnaie, est la chose la plus distribuée au monde, notamment dans le sens physique du terme, par opposition à la finance immatérielle. Donc une publicité pour une boîte de nuit à Walsall collée sur une pièce de monnaie touchera toujours plus de gens qu’un panneau d’affichage. C’est une sacrée économie. Ce qui me plaît par-dessus tout, c’est que tant qu’elle sera dans votre poche, cette pièce de cinquante pence vous appartiendra; du coup, c’est comme une découverte, une trouvaille que vous pouvez vous approprier. C’est différent d’un panneau publicitaire, qui est bien moins mémorable étant donné qu’on vous l’offre sur un plateau d’argent.
Ça, c’est une invention de Charles Eames destinée à son studio de Venice Beach, en Californie, qui n’existe plus. Comme Charles avait une très mauvaise mémoire, il avait recours à des mélodies pour se souvenir de ses stagiaires. Chaque nouveau stagiaire devait réarranger les touches de xylophone disposées sur cette machine. Grâce à un système de billes permettant de jouer une mélodie en boucle, il parvenait à se souvenir des stagiaires et de l’année de leur passage en fonction de la musique. Ainsi, tous les stagiaires avaient une mélodie propre. On pensait que c’était une maladie, ce… euh… ce problème de mémoire.
Voici une autre maladie, l’auraphilie, découverte il y a seulement quelques années par des médecins de NYU. Face à une situation émouvante, confrontés à un problème complexe, ou soumis à une excitation prolongée comme lors d’un orgasme, ceux qui en souffrent se mettent littéralement à entendre des sons, généralement des petits bruits secs ou des sifflements… audibles. Ça s’appelle l’«Aura-philie», car il s’agit de la traduction littérale et acoustique d’une sensation physique.
Voilà, c’est fini!
Published on <o> future <o>, June 3, 2012.
- Translation
- Jean-François Caro
- License
- © 2012 Ryan Gander
Conférence initialement tenue le 24 février 2011 à la Whitechapel Gallery, Londres. Cette traduction par Jean-François Caro a été diffusée sous forme de tiré à part à l'occasion de la conférence «LAX» de Ryan Gander au Plateau—Frac Île-de-France, tenue le 23 février 2012 lors de l'exposition Le Sentiment des choses. Elle a également été publiée dans la revue △⋔☼, №2, 06/2012, p.31-78.